BICÊTRE

     Ce lieu, dont le nom est une altération française de l'anglais Winchester, a une histoire fort ancienne et pleine de vicissitudes dont on trouvera un résumé sur le site : http://www.uro.bicetre.org/histoire.htm

    Je ne sais pas ce qu'est devenu actuellement l'hospice de Bicêtre, mais dans ces années , c'était à lui tout seul un véritable village. Il y avait absolument de tout ; des vieilles personnes qui finissaient là leurs jours, des services de médecine générale et de chirurgie, un service de jeunes incurables, un service de petites filles très gravement attardées, un service de fous, et un pavillon de tuberculeux. Et sans doute bien des choses que j'oublie.
    Assurer l'intendance d'un village de ce genre, n'était pas une mince tâche, et mon père a été très occupé. Même si on avait été à la campagne, il n'aurait pas eu le temps d'aller chercher des escargots pour ses canards.
    L'hospice de Bicêtre était un ensemble de
bâtiments, dont certains étaient fort anciens, datant du 17ème siècle. Nous habitions dans un pavillon, certainement ancien, que nous partagions avec d'autres membres des services administratifs.( J'ai trouvé cette photo donnant une très bonne idée de ce pavillon sur le site :
http://chk-bicetre.scola.ac-paris.fr/histoire/historique/page-photo/bicetre-1.htm
que je remercie. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.(34 ko )
    Nous occupions le rez de chaussée de ce pavillon, ce qui nous donnait l'avantage d'avoir un petit jardin privatif, dans lequel il n'était pas question de faire pousser beaucoup de choses. Il était pratiquement enclos de hauts murs sur les quatre cotés, et en plus, ombragé par deux grands polownias, qui ne laissaient pas beaucoup de soleil parvenir jusqu'au sol. Au milieu de ce petit jardin, il y avait un petit bassin, avec, quand on le voulait, un jet d'eau.

               L'appartement
    L'appartement avait deux entrées ; une qui donnait directement sur le salon, qu'on n'utilisait jamais, et puis, une entrée de service qui donnait dans la cuisine.
    Cet appartement était organisé comme beaucoup des maisons très anciennes, c'est à dire qu'il n'y avait pas de couloir, et que les pièces se commandaient les une les autres. Par exemple, pour accéder aux chambres, il fallait traverser soit le salon et la salle à manger, soit la cuisine et la salle à manger. Et, pour atteindre les W-C et le cabinet de toilette, et une chambre séparée qui était à l'étage au dessus, il fallait traverser une chambre qui fut la mienne . Les plafonds étaient très hauts.
    Chose qui me parut étrange, car jusque là, j'avais toujours vécu avec l'électricité, elle n'était pas installée dans cet appartement lorsque nous sommes arrivés. L'éclairage se faisait encore au gaz. Je me rappelle très bien le bec Auer, avec son manchon aux terres rares et sa puissante lumière, un peu verdâtre, qui éclairait la salle à manger. Et je revois également le bec papillon qui éclairait les W-C. Dans les chambres, il n'y avait pas d'éclairage au gaz, probablement par crainte d'asphyxie nocturne. Les chambres étaient le royaume de la lampe Pigeon. ( Bernard Clavel, dans un livre autobiographique dont j'ai oublié le titre, chante les louanges de la lampe Pigeon ).
      Cet état rétrograde ne dura pas longtemps, car les travaux d'adduction de l'électricité dans le pavillon, étaient un peu plus que prévus quand nous sommes arrivés.
     Nous disposions, tout en haut du bâtiment, qui avait deux ou trois étages, d'une chambre de bonne, naturellement inoccupée, mais qui avait pour moi le gros avantage qu'elle donnait sur le petit jardin dont j'ai parlé. J'ai oublié de mentionner une pièce qui fut très importante pour moi : une véranda donnant sur le petit jardin et que j'annexai immédiatement pour y faire diverses manips, notamment tout ce qui concernait la chimie.
     Avec une dénivellation de quelques marches, en contrebas, il y avait un espèce d'appentis, qui fermait quand même, que j'annexai aussi. Et puis il y avait la salle de bain, complètement séparée de tout le reste de l'appartement .

               L'antenne.
     La chambre de bonne, tout en haut de la maison, me donna envie d'installer une belle antenne. Ce fut une antenne de forme curieuse, impossible à classer. De la fenêtre la chambre de bonne, trois fils descendaient, divergeaient pour aller s'amarrer aux troncs des deux polownias, plus au tronc d'un petit acacia situé au fond du jardinet, et puis revenaient converger en un seul câble, isolé cette fois, qui passait à travers le bois du montant d'une porte, entrait dans la salle à manger, et aboutissait sur une table où j'installai mes appareils de T.S.F. J'avais donc là une antenne évidemment moins efficace que si les bras n'avaient pas été repliés, mais qui était certainement honorable.

     Lorsque nous arrivâmes, sans la distribution électrique, il y avait quand même quelque chose d 'électrique dans cet appartement, c'était une sonnette électrique qui fonctionnait avec trois ou quatre piles Leclanché, tout à fait classiques, avec le vase poreux, le charbon et le bioxyde de manganèse, et puis le bâton de zinc dans un renfoncement du bocal en verre, ces bocaux spéciaux pour les piles de sonnettes qu'on a trouvé pendant un certain temps
( Figure ci-contr ; collection F2XP ; photographie F5ZV ). Cela fonctionnait. Il y avait même dans la cuisine, un tableau à voyants permettant de savoir de quelle pièce on avait appelé, ceci en souvenir du temps où les domestiques apportaient les plats à leurs maîtres, ou venaient leur servir le petit déjeuner au lit, sait-on jamais !

     Bien entendu, les divers postes à galènes que j'avais réalisé dans l'intervalle, fonctionnèrent tout de suite beaucoup plus fort qu'à Angicourt. On put commencer à entendre les stations sur petits ondes, ( maintenant ondes moyennes ) mais évidemment, ce qui me tenaillait, c'était d'obtenir la consécration des lampes. Ce fut la lampe, pour commencer, mais j'y reviendrai un peu plus tard.

               Le lycée Henri IV
     Il faut auparavant que je signale un changement qui fut important dans ma vie à ce moment là. Je pus enfin faire des études normales qui se déroulèrent au lycée Henri IV. Pour aller au lycée, je prenais le tramway, le 47 ou le 85. Le trajet était assez long et il ne m'était pas possible de rentrer déjeuner ; je fus donc " demi-pensionnaire ". Mais quel terme inexact ! Le demi-pensionnaire, même s'il mange à midi la "tambouille" souvent médiocre du lycée, retrouve le soir ses parents et la chaleur affective du foyer. Il est bien plus proche de l'externe que du pensionnaire.
    Je pense que mon père a dû faire des pieds et des mains pour être nommé près d'une grande ville, afin de me permettre de poursuivre ma scolarité tout en respectant sa promesse de ne jamais me remettre pensionnaire ; qu'il en soit loué et remercié !
     J'ai donc fait au lycée Henri IV toutes mes classes de la quatrième à la math-élem incluse. Certains bâtiments du lycée étaient fort anciens. La fameuse Tour Clovis
(Photo ci-contre trouvée sur le site fort intéressant :
http://mapage.noos.fr/bdecorte/5txt.htm
  que je remercie. Cliquer sur l'image pour l'agrandir.(37 ko ) sonnait les heures, demies et quarts, mais ce qui rythmait les entrées et sorties de cours, les récréations etc.., c'étaient les roulements du tambour : à Henri IV, on se souvenait que les lycées avaient été institués par Napoléon !
     Jusqu'à la première, je suivis la filière C (Latin-Sciences).
     Le professeur à la plus forte personnalité fut le professeur de lettres de troisième, qui se présenta ainsi : " Je m'appelle Bourgain, B,O,U,R,G,A,I,N. J'ai la réputation d'être une vache ; je pense qu'elle est méritée". De fait, la discipline était rigoureuese et les colères du Maître, qu'un rien pouvait déclencher, étaient redoutables. Il aurait voulu nous voir tous, comme lui-même, énergiques et passionnés. Il n'était pas question de somnoler en classe, on avait trop peur de provoquer la foudre ! Mais ce professeur exigeant nous apprit beaucoup et je lui garde un souvenir reconnaissant. Après lui, les professeurs de lettres des années suivantes nous parurent insipides et ennuyeux.

               Les Arts Décoratifs
    En 1925, mon père m'emmena visiter l'exposition des Arts Décoratifs. Je n'ai pas dû être fort impressionné par cette exposition, sauf par la splendide fontaine en verre de Lalique, installée tout à l'entrée. On m'a dit que cette fontaine est installée au rond-point des Champs Elysées, mais que les années l'ont quelque peu ternie et qu'elle n'a plus sa neuve beauté de 1925.
      Le reste n'a pas laissé beaucoup de traces dans ma mémoire.

               Le poste à lampe
     J'ai parlé précédemment de la lampe, parce que au début, il n'y en eut qu'une. Ce fut ma mère qui vint avec moi au Bazar de l'Hôtel de Ville pour m'offrir tout ce qu'il fallait pour réaliser un poste à une lampe, c'est à dire d'abord la lampe ( une radio micro ), les fameuses trois piles Féry (
C'est avec émotion que j'ai trouvé sur le site déjà cité de Pierre Dessapt, que je remercie, cette photographie d'une pile Féry du modèle que j'utilisais.) qui devaient assurer son chauffage, un rhéostat de 30 ohms pour régler celui-ci et une pile de 45 volts. Cette petite pile me servit pendant plusieurs années, et je n'ai jamais rencontré une longévité semblable dans d'autres batteries de piles sèches.
     La lampe radio micro de ce temps là, je la revois encore, avait un culot métallique, une ampoule cylindrique, avec le queusot en haut, et l'ampoule était entièrement métallisée, rendue réfléchissante par le getter (dépôt de métaux alcalino-terreux destiné à parfaire et à maintenir le vide dans l'ampoule ; je reviendrai plus tard sur les getters ), et c'est juste par un tout petit liserée près du culot, qu'on pouvait apercevoir la lueur du filament. Cette lueur était assez forte. Le filament de ces lampes travaillait à une température très supérieure à celles des cathodes à oxyde qui vinrent ensuite. Je pense que le filament devait être du Tungstène thorié carburé, car visiblement il travaillait à l'orangé clair.
    Le premier montage réalisé avec cette lampe fut évidemment une détectrice à réaction, cette réaction étant assurée par un couplage variable entre des bobines en fond de panier de costruction personnelle, que j'ai toujours d'ailleurs. L'accord par condensateur variable couvrait la gamme des "petites ondes", et avec mon antenne assez développée, la prise de terre assurée par la distribution d'eau, qui était entièrement en plomb, donc avec bonne conductibilité, je reçus rapidement, le soir, les princilpales stations européennes.
   C'était d'ailleurs le principal usage de ce poste. Je ne me rappelle pas tellement avoir fait écouter des concerts à mes parents, c'était plutôt pour "le sport", la curiosité de savoir ce qu'on recevrait ce soir...au début, car après, il y eut les ondes courtes.

               Fonds de paniers et Nids d'abeilles.
   On s'aperçut rapidement que les bobines à spires rangées, indispensables pour faire des bobines à curseur, étaient devenues malcommodes maintenant que l'accord se faisait par condensateur variable. On pouvait, bien sûr, faire des bobines massées, comme la galette que mon père m'avait apportée un jour à Angicourt et comme j'en avais fait moi-même un certain nombre.Mais les capacités entre spires et les pertes dans l'isolant du fil étaient importantes, si bien que, rapidement, on réalisa des bobinages "aérés", dans lesquels les spires voisines ne se touchaient qu'en des points de croisement.
    Le bobinage "aéré" le plus facile à réaliser par l'amateur était le "fond de panier", qui ne demandait qu'un disque de carton portant un nombre impair d'entailles radiales. Aucun vernis n'était nécessaire pour maintenir le fil, mais le nombre de spires était limité si l'on voulait rester dans des diamètres modestes.
    Les "nids d'abeilles" et leur variante "duolatéral" n'avaient pas cette limitation ( j'ai sigalé plus haut les bobines de 1500 et 2500 tours du docteur R. ) mais demandaient un mandrin muni de broches amovibles.
Le bobinage était imprégné d'un vernis ; une fois celui-ci suffisamment sec, on enlevait les broches ; puis on démoulait la bobine.
    J'avais fait connaissance avec les nids d'abeille lors de mes contacts avec Monsieur D. mais je n'en ai jamais fait moi-même.
    L'un des pensionnaires du pavillon de tuberculeux, un russe, se faisait un peu d'argent de poche, en fabricant des bobinages nid d'abeille, et en les vendant à ceux qui voulaient bien lui en acheter. Mon père m'a offert une série de bobine de nid d'abeilles fabriquées par ce russe, très bien faites d'ailleurs, mieux que celles du commerce à la même époque. La série allait de trente cinq spires à deux cents spires. J'ai toujours ces bobines, qui furent très précieuses par la suite pour faire d'autres montages et notamment des essais de postes à galène variés.

               Les postes à galène. Les émissions .
     Pour écouter réellement la radio comme usagers de la T.S.F., c'étaient plutôt les postes à galène qui travaillaient. Dans ma chambre, j'en avais installé un, et je me rappelle fort bien que c'est ainsi que j'ai suivi en 1927, l'arrivée triomphale de Lindbergh.
    Quant à mon père, il s'était acheté un poste à galène du commerce, que j'ai toujours, ce qui m'a permis de le photographier (
Cliquer sur l'image pour l'agrandir(33 ko). Malheureusement, le condensateur variable n'est pas très bon . Mon père écoutait la T.S.F. le soir dans son lit et s'endormait parfois avec le casque sur la tête ; au réveil, il avait sur le coté de la tête les marques imprimées par la monture du casque. Comme antenne, nos postes à galène utilisaient le secteur, toujours aérien en ce temps-là.
     Il faut que je dise quelques mots des émissions que nous écoutions. Il y avait d'abord les informations . Ces années étaient les grandes années de l'aviation : la TSF nous a permis de vivre en direct le fol enthousiasme, puis la tragique déception de L'Oiseau Blanc ( Nungesser et Coli ), le délire lors de l'arrivée du Spirit of St Louis ( Lindbergh ), les exploits de Costes et Bellonte , etc…
     Il y avait aussi les feuilletons, à suivre quotidiennement ; je me rappelle le titre de l'un d'eux :Terre de suspicion .
     A l'époque, j'étais peu sensible à la musique classique, mais j'aimais bien la musique de danse et les émissions genre cabaret. Les soirées du Caveau Caucasien, retransmises assez fréquemment par un poste sur "petites ondes ", peut-être l'émetteur du " Petit Parisien ", étaient animées par un certain Mario Cazes, violoniste et compositeur, dont les mélodies faciles à retenir habillaient des textes quelque peu "kitsch" ; mais ces chansons convenaient bien à mes émois d'adolescent, surtout lorsqu'elles étaient chantées par Emma Liébel, dont la voix grave et chaude émouvait aussi mon père.
     Il n'y avait pas l'Audimat, mais les stations rivalisaient quand même d'innovations pour accroître leur audience. A la Tour Eiffel, un nommé Maurice Privat (j'espère ne pas me tromper) essaya de populariser la TSF en baissant le prix de certains composants : dans une boutique de la rue Meslay il fit mettre en vente de bonnes galènes à bas prix et des lampes genre Radio-Micro à 22 Francs 50 alors que le prix normal était 37 Francs 50. Mon père alla m'acheter deux de ces lampes : elles étaient honnêtes, un peu moins performantes que les Tungsram que j'eus plus tard.
     Voici qui nous ramène à la technique…

               Expériences et constructions diverses.
     Je n'avais pas abandonné la galène, d'une part en tant qu'usager de la radio, mais aussi sur le plan des "recherches " ! Je me rappelle, en effet, deux et même trois manips, qui prouvent que je m'intéressais toujours à la détection par galène .
     La première manip a consisté, un premier cristal de galène étant dans la cuvette habituelle de détecteur, à remplacer le chercheur par un fragment de galène, le contact étant pris sur cette galène chercheur, si j'ose dire, par du papier à chocolat bien serré, et entouré de fil de cuivre, réuni au petit levier qui portait habituellement le chercheur. Et bien, cela marchait, quelquefois aussi bien qu'avec un chercheur métallique. Alors, je fus extrêmement surpris, car dans ma simplicité, je pensais que le montage, étant apparemment symétrique, aucun redressement ne pouvait avoir lieu. J'ai même écrit à un journal, probablement à l'Antenne, je ne me rappelle pas exactement ce qu'ils m'ont dit, mais ce n'était pas tout à fait convainquant.
     Maintenant, bien entendu, l'explication est toute simple. Il suffisait que je mette en contact des régions de cristaux dopés différemment pour générer un effet redresseur, mais la physique des solides n'en était pas encore là dans ces années.
     L'autre manip portait sur les redresseurs par contacts imparfaits, comme on disait à l'époque " On va essayer d'en faire un ", me suis-je dit.      J'ai pris comme détecteur une grosse borne à trou, dans laquelle j'ai fourré un fil isolé. En ce temps là les fils de cuivre étaient isolés par des matières genre caoutchouc, qui attaquaient la surface du cuivre ; quand on enlevait l'isolant, on obtenait un fil tout noirâtre qu'il fallait gratter au couteau ou à la toile émeri, avant de faire des connexions dessus. J'ai donc mis un bout de ce fil dans ma borne à trou et j'ai serré jusqu'à obtenir le contact, c'est à dire que la vis de la borne à trou perce l'isolant et arrive sur le fil. Et, en réglant au millième de poil de grenouille le serrage de la borne, j'obtins une détection. Evidemment, ce n'était pas stable, il suffisait de serrer un micropoil plus ou un micropoil moins, et ça ne marchait plus. Je pense que ce n'est pas le contact imparfait qui jouait, c'est tout simplement que je devais arriver dans une zone de sulfure de cuivre, et que je faisais un contact cuivre-sulfure de cuivre qui était redresseur. Voilà l'explication que j'en trouve maintenant.
     Troisième manip, suggérée je ne sais par quel journal : faire une détection push-pull, c'est à dire mettre deux chercheurs sur la même galène, attaquer en symétrique et faire du redressement deux alternances. Cela marchait, mais pas mieux qu'avec une seule alternance. Tout dépend de la quantité d'énergie qu'on préleve sur le circuit oscillant, et qu'on la prélève par un seule diode ou par deux diodes en opposition, le résultat est pratiquement le même. Il fallut abandonner l'espoir que l'on avait de doubler la force de la réception en faisant une détection push-pull.

               Le sens du redressement
     En rédigeant ces lignes, j'ai pensé tout à coup que je ne m'étais jamais posé la question de savoir dans quel sens le détecteur à galène redressait-il le courant ; bien sûr, cela n'avait aucune importance pour la réception de la TSF. Mais ce manque de curiosité, explicable chez le gamin pour qui tout cela est quelque peu magique, l'est moins chez un adolescent qui a continué longtemps à construire et à expérimenter un bon nombre de récepteurs à galène. Pour racheter cette négligence, j'ai procédé à quelques mesures comparatives que ceux que cela intéresse pourront trouver sur la page Comparaison. (24 ko)


     Je vais dire quelques mots de la Zincite. Fut un temps, la Zincite à été à la mode. Dans certaines conditions, un contact métal-Zincite présentait une résistance négative et donc pouvait engendrer des oscillations. On pouvait ainsi faire des hétérodynes à zincite, voire des détectrices à réaction à zincite, etc...
     Comme les lampes restaient quand même chères, et demandaient une alimentation assez difficile, la zincite, moins exigeante ( une seule batterie de piles, de tension et de débit modestes ) était éminemment tentante. Mais le point de fonctionnement permettant l'oscillation était très critique et les montages prévoyaient un circuit à fréquence audible pour trouver le bon réglage avant de basculer sur le circuit à fréquence radio.
     Nous sommes allés, mon père et moi, dans un magasin de l'avenue d'Italie, qui vendait divers équipements de radio et pièces détachées. Nous avons acheté un cristal de Zincite. Auparavant, j'avais fait tout le montage qu'il fallait, avec le système basse fréquence pour vérifier l'oscillation, etc... Malheureusement, mon cristal de Zincite s'est révélé extrêmement hétérogène et très fragile. Il avait des point rouges, des parties noirâtres, etc... Quand j'ai voulu le serrer avec précaution dans la cuvette d'un détecteur, il s'est cassé en petits morceaux. J'ai essayé d'utiliser les petits morceaux, je n'ai jamais rien pu en tirer. L'ennui, c'est que j'avais fait mon montage bien avant, enfin, le travail qu'on fait n'est jamais perdu.

     Avant de quitter le chapitre des postes à galène, j'ai dit que j'en avais fait beaucoup, mais je n'étais pas le seul. Mes camarades du lycée en fabriquaient aussi, et nous étions à la chasse de tout ce qui pouvait constituer une " ébénisterie " pouvant être le support d'un poste à galène.
     L'idéal, c'était la boite à cigares en bois ; le bois était de qualité et il y avait de quoi loger pas mal de choses, bien que cela manquât un peu de profondeur. Quelque chose d'encore plus recherché, et cela, je l'ai recherché même pour des postes à lampe, c'était la boite à craies, la boite à craies de tableaux, qui représentait un volume intéressant, capable de loger un bon condensateur variable, et puis l'articulation du couvercle pouvait servir de couplage variable, quoiqu'elle ne fût pas très bonne. On a récupéré aussi des ardoises. Tout ce qui était isolant, ou réputé isolant, était susceptible de servir de support pour des montages et en particulier des postes à galène. Avec les bobines en nid d'abeille, que mon père m'avait fait réaliser, j'étais bien armé pour faire des choses de haute volée, mais je faisais aussi des constructions entièrement personnelles, en particulier, je me rappelle avoir fait un poste à galène dans un vieux portefeuille, l'accord était un accord variométrique (variation de la self en faisant varier le couplage de ses deux moitiés). On réglait l'accord en ouvrant plus ou moins le portefeuille, et le détecteur était logé dans un petit tube en verre, dans la charnière du portefeuille. Ma foi, cela fonctionnait aussi.
     J'avais fait aussi une fois un poste à galène avec une magnifique self fond de panier. J'avais récupéré du fil, qui était très beau, propre, inoxydé, sous son guipage. Il n'avait pas tout à fait la couleur habituelle, et il était nettement plus raide. J'ai quand même fait ma grande " fond de panier " avec des prises, et, à ma grande déception, ça marchait moins bien qu'avec aucune de mes autres réalisations du même genre. Ce n'est que plus tard que je compris que j'avais bobiné ma bobine d'accord avec du fil résistant, ce devait être du maillechort, d'après la couleur que j'ai revue plus tard, et rien d'étonnant à ce que l'accord soit plus flou, et le niveau plus faible qu'avec des bobines en fil de cuivre.

     Je ne pense plus avoir à revenir sur le chapitre des postes à galène. Avant de reprendre le cours de mes souvenirs concernant à proprement parler la T.S.F., il faut que je dise quelques mots de mes autres activités. Dans ces souvenirs, je suis obligé de séparer les choses, mais dans la réalité, elles étaient intimement mêlées, et coexistaient.
    Certaines distractions d'Angicourt avaient disparu. Il n'était plus question de promenades botaniques, de cerfs-volants, ni de Meccano, par contre la machine de Wimshurst et la bobine de Ruhmkorff retrouvèrent quelques moments d'intérêt, lorsque on en vint à parler d'électricité dans les cours du lycée.

            Expériences de chimie
    J'avais assez rapidement eu envie de faire des expériences de chimie. Avec un petit matériel rudimentaire, j'ai préparé tous les précipités colorés qui étaient d'un accès facile, j'ai fait quelques manips en chimie organique ; en particulier, j'ai oxydé de l'alcool par le mélange sulfochromique pour obtenir de l'aldéhyde. Et puis, j'ai fait quelques manips un peu moins innocentes.
    Comme j'avais facilement, par la pharmacie de l'hôpital, du chlorate de potassium, il m'a été très vite tentant de le mélanger avec une substance combustible, par exemple du charbon de bois soigneusement pulvérisé, ou du soufre en fleur, ou même du sucre en poudre écrasé. Ces mélanges étaient fait sans aucune idée des proportions, un petit peu au hasard, et puis j'avais fait une espèce de mise à feu à distance. Je mettais alors un tas de mon mélange sur une brique, et puis j'allumais de loin, et cela brûlait avec une violente déflagration, mais pas d'explosion, puisque ce n'était pas enfermé.
    Néanmoins, ce mélange m'a joué deux tours désagréables.

    Le premier eut lieu quand j'eus l'idée de mettre une pincée d'un de ces mélanges sur une masse de fer qui me servait d'enclume, et de prendre un marteau pour frapper dessus. Je frappai assez fort, et cette fois, il n'y a pas eu combustion, mais détonation, avec un bruit tel que j'eus l'impression d'avoir avalé mes tympans, et que je restai sourd pendant un certain temps. Evidemment, le bruit avait affolé ma mère, qui en voyait des vertes et des pas mûres avec les expériences de son rejeton.
    La deuxième mésaventure liée à ce mélange, fut plus sérieuse et aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves. Toujours curieux d'essayer n'importe quoi, j'avais mis un peu d'un de ces mélanges au fond d'un creuset, et j'ai versé dessus soit de l'acide sulfurique pur, soit du mélange sulfonitrique, enfin un acide très fort. Il n'y a rien eu de spectaculaire pour commencer, et puis, j'ai vu un gaz vert qui semblait très lourd, qui était plus coloré et plus lourd que le chlore que je connaissais bien ; d'ailleurs ma pauvre mère en avait respiré, et en avait toussé pendant longtemps.
    Surpris par cet aspect inconnu, je me penchai un peu au dessus du creuset, et, à ce moment là, il s'est produit une déflagration. J'ai reçu le contenu du creuset dans la figure. Heureusement, j'avais un robinet tout près, je me suis mis le visage sous l'eau immédiatement, et il ne m'est resté que des petits points dus aux impacts de l'acide bouillant sur la peau, qui se sont effacé par la suite, et il n'y a pas eu de conséquence grave.
    Quand j'ai fait des études de chimie un peu moins rudimentaires, je me suis aperçu que ce gaz vert très lourd, n'était autre que du peroxyde de chlore, et il me semble me rappeler avoir lu quelque part que sa découverte avait coûté deux doigts et un œil au chimiste qui l'avait préparé pour la première fois.

            Expériences de physique.
    J'ai fait beaucoup d'autres expériences qui heureusement ne se sont pas soldées par des catastrophes. J'avais fait aussi un arc électrique avec des charbons, on trouvait encore des charbons de lampe à arc en ce temps là. Et, en faisant passer le courant de l'arc dans des bobines placées latéralement, on pouvait souffler sur l'arc à volonté. Normalement, il avait tendance à se courber vers le haut à cause de l'air chaud, mais on pouvait, avec les bobines, infléchir l'arc vers le bas et l'on pouvait ainsi fondre absolument tout ce qu'on voulait dans la flamme de l'arc.
    Plus tard, j'ai fait aussi beaucoup de manips de cours. En général, j'étais toujours en avance d'un cours ou deux sur le plan des manips, lorsqu'elles étaient réalisables à la maison. J'ai eu un faible pour les piles électriques. J'ai construit à peu près tous les modèles de piles qu'on nous décrivait, y compris une pile étalon Latimer-Clarck. Et j'avais fait un montage potentiométrique avec un fil résistant tendu sur une réglette en bois, un curseur pouvant se déplacer dessus, de manière à comparer les potentiels de mes piles avec une grande précision. Comme je n'avais pas de galvanomètre, j'utilisais un écouteur ou un casque : si l'on coupait et rétablissait son circuit, on entendait un clic assez vigoureux quand on était loin de l'équilibre, et puis ce clic diminuait d'intensité au fur et à mesure qu'on s'approchait du potentiel d'équilibre, et, à l'équilibre, on n'entendait plus rien du tout. Cela donnait des résultats, ma foi, assez précis quand on manipulait bien et me permettait de comparer de manière précise les potentiels de mes diverses piles.

            Photographie.     Optique.
    C'est également à Bicêtre que je me suis initié au maniement des produits photographiques. En cette époque heureuse, on trouvait chez les marchands de couleurs une quantité de produits dont ils n'auraient plus du tout l'idée maintenant. Alors, j'ai acheté de quoi faire du révélateur photographique, c'est à dire quelques grammes de métol (en ce temps là on ne disait pas le génol), de l'hydroquinone, du sulfite de potassium, du carbonate de potassium, du bromure de potassium, enfin tout ce qui fallait pour faire du révélateur. Et, après m'être confectionné une lanterne rouge, je me suis entraîné au développement des positifs au bromure. Mon père faisait de la photo. Il obtenait des négatifs sur plaque, et moi, je me suis entraîné aux techniques de la chimie photographique en faisant des tirages bromure des négatifs que mon père me prêtait.
    Ensuite, j'eus moi même un appareil photographique. C'était un appareil qui avait été légué à la famille par une amie. C'était un engin extrêmement rudimentaire et fort ancien. La mise au point se faisait par des bonnettes. Il y avait une bonnette de un mètre, une bonnette de trois mètres, une bonnette de cinq mètres et, au delà, pas de bonnette du tout. L'obturateur était rudimentaire, il n'y avait pas de diaphragme (j'en ai monté un par la suite), mais j'ai quand même fait des photos tout à fait correctes avec cet engin, dont l'objectif ne comportait qu'une seule lentille, qui me sert actuellement de loupe.

    C'est à Bicêtre aussi que j'ai fait mes premières expériences d'optique. Avec des verres de lunettes que mon père m'avait procurés, et puis une petite loupe assez convergente, j'avais fait une lunette astronomique, le tube étant un tube en carton. L'avantage, c'est qu'elle n'était pas trop lourde à porter. Avec cette petite lunette astronomique, j'ai pu voir les quatre satellites de Jupiter, dits satellites galiléens, parce qu'ils furent observé par Galilée.
    A un magasin d'articles scientifiques qui se trouvait derrière le Panthéon, j'achetai une lentille convergente d'un mètre de focale et de sept ou huit centimètres de diamètre, et cette fois, je tentai de construire une lunette astronomique plus sérieuse. Le problème a été la rigidité de la monture que je voulais quand même légère. Et puis, il devenait à peu près impossible de la tenir à bras. Par conséquent, il aurait fallu construire une monture équatoriale. Cela, je n'en étais pas capable.
    Néanmoins, cette lunette me permit de projeter sur écran l'image du soleil, et de pouvoir montrer ainsi les taches solaires à toute ma famille. En complément de la petite lunette astronomique cette fois, et avec un verre de lunette tout à fait semblable à celui qui l'équipait, je construisis un collimateur dont la fente était constituée par l'intervalle entre deux aiguilles à coudre maintenues par de la cire à cacheter. Cela donnait une fente très propre, et, avec un prisme que j'avais acheté, toujours au magasin derrière le Panthéon, je pus faire alors un spectroscope, et montrer également à ma famille toutes les belles couleurs du spectre, les spectres de raie, les spectres d'absorption, etc...

            L'électroscope. Les rayons X. Le Cinéma.
    Pour en finir, au moins momentanément avec les occupations scientifiques non T.S.F., j'avais lu avec le plus grand intérêt, deux livres de Gustave Lebon, empruntés à la bibliothèque de mon père : L'évolution de la matière et L'évolution des forces. Des livres qu'il serait d'ailleurs très intéressant de relire maintenant, à la lumière des connaissances actuelles, pour voir sur quels points les intuitions de Lebon étaient justes, et sur quels points, il était tout à fait à coté de la vérité ; malheureusement je ne les ai plus. J'y avais trouvé des suggestions d'expériences, dont les unes étaient complètement hors de ma portée, mais d'autres étaient accessibles.
    C'est ainsi que, pour observer l'ionisation des métaux sous l'influence de l'ultraviolet solaire, j'avais construit un électroscope à feuille d'or, comme on appelait dans le temps cet appareil, mais l'or étant trop cher, c'était à feuille d'aluminium. Mais attention, pas la feuille d'aluminium servant à emballer le chocolat, qui est mille fois trop épaisse, mais la feuille d'aluminium spéciale, vendue comme les feuilles d'or, mais beaucoup moins chère, en carnets, séparés par des feuilles de papier. J'avais du trouver tout cela chez Prolabo je pense.         En ayant réussi à manipuler ces feuilles d'aluminium, avec beaucoup de déchets, il faut le dire, tellement c'était fin et délicat , j'avais construit un électroscope à feuille, dont l'isolant était un bouchon de soufre que j'avais coulé. Quand les jours étaient favorables, il gardait sa charge très longtemps sans que la feuille baisse appréciablement. En mettant sur le plateau de cet électroscope, par exemple une plaque de zinc, que je venais de briquer à la toile émeri, et en exposant le tout au soleil, la feuille baissait, indiquant une décharge de l'électroscope. Si la plaque de zinc n'avait pas été soigneusement nettoyée, il ne se passait rien.
    J'avais observé de la même manière l'ionisation provoquée par les flammes. Comme je pratiquais la chimie photographique et essayais beaucoup de virages, j'avais acheté un virage à l'urane qui donnait des tons bruns. Ce produit, posé sur le plateau de électroscope, provoquait une décharge appréciable, ce qui prouve que la radioactivité des sels d'uranium était parfaitement décelable avec des moyens relativement simples.
    Restons dans le domaine des radiations ionisantes. Un ami de la famille, qui habitait Paris, était passionné par les rayons X. J'ai vu chez lui une belle collection de tubes à rayons X et , pour les faire fonctionner, une imposante bobine de Rhumkorff, alimentée sur le secteur par l'intermédiaire d'un interrupteur rotatif à jet de mercure, travaillant dans une atmosphère de gaz d'éclairage pour éviter l'oxydation. Cette bobine donnait des étincelles vraiment impressionnantes.

    Il y eut aussi des distractions non scientifiques. C'est à Bicêtre que j'ai découvert le cinéma. Jusqu'alors, nous n'avions jamais été au cinéma. Nous découvrîmes donc le cinéma, muet et en noir et blanc, bien entendu, ce qui ne l'empêchait pas de produire des chefs-d'œuvre, comme Métropolis de Fritz Lang ou les films de Charlie Chaplin. Cependant notre fréquentation des salles obscures resta alors assez rare.

    Je pense avoir fait le tour des occupations non T.S.F., et nous allons maintenant reprendre notre cher sujet.

            Les hebdomadaires et le matériel de TSF.
    Je n'avais plus, ni les précieux enseignements de monsieur D, ni son livre de Duroquier, mais en compensation, je fus tenu au courant de l'évolution de la T.S.F. par la lecture hebdomadaire de L'Antenne. Ce journal, édité sur papier journal de couleur jaune, paraissait tous les mercredis, et en me rendant au lycée (en ce temps là on avait congé le jeudi), en descendant prendre mon tramway, je m'arrêtais toujours à une petite librairie, et j'achetais le numéro de la semaine de L'Antenne.     Cet hebdomadaire , en ce temps là, n'était pas encore trop commercialisé ; les articles de fond n'y étaient pas rares et les autres étaient souvent orientés vers des appareils à construire soi-même.
    L'autre journal de T.S.F. : Le Haut Parleur parut un peu plus tard, lui aussi édité hebdomadairement sur papier journal, mais de couleur violette cette fois. J'achetais L'Antenne, et mon copain F achetait Le Haut Parleur, et nous échangions évidemment nos précieux journaux.     Voilà pour les nourritures spirituelles de T.S.F. si j'ose dire.

    Pour le côté intendance, c'est à dire la manière de se procurer le matériel, il y eut très vite une grande facilité de trouver les pièces détachées dans un grand nombre de magasins. Mon tramway menant au lycée passait par la rue Monge. Normalement, je devais descendre à l'arrêt rue du Cardinal Lemoine, et gravir ensuite une bonne partie de la montagne Ste Geneviève, pour atteindre le vieil H4. Mais il était tentant de descendre un arrêt avant, parce que cet arrêt était presque en face d'un magasin de T.S.F., remarquablement bien achalandé, dont l'enseigne était M Pardessus. Là, si on avait un peu d'avance, ou si, le soir au retour, on consentait à rater un ou deux tramways, on pouvait passer des moments passionnants à regarder la vitrine qui était toujours garnie des dernières nouveautés.

            Les condensateurs variables.
    Je me rappelle particulièrement les merveilleuses expositions de condensateurs variables dans cette vitrine.
    La forme standard du condensateur variable des débuts de la radio : flasques circulaires en ébonite ou en bakélite, lames semi circulaires,

(
voir les photos ci-contre dues à l'obbligeance de F5ZV ; cliquer sur l'image pour l'agrandir et bénéficier d'une autre photo et d'un commentaire (39 ko) avait été abandonnée.
    On avait dépassé les premiers balbutiements de la T.S.F., et l'on cherchait à améliorer la performance des circuits. Le terme à la mode était " low loss " (faibles pertes ), et l'attention s'était focalisée sur le condensateur variable.
    On fit alors des appareils absolument merveilleux, d'un prix parfaitement affolant, justifié d'ailleurs par la qualité du travail, la beauté des matières, etc...Le condensateur variable fut vraiment le roi dans ces années-là. Après, on s'aperçut qu'il n'était pas seul dans l'histoire, et qu'il valait mieux chercher ailleurs l'amélioration.
    La grande idée, c'était les pertes dans les diélectriques. Ils n'avaient pas réfléchi, ces braves gens. Le champ dans le diélectrique des flasques en ébonite d'un condensateur variable, disons courant, était tellement faible, vu l'écartement des parties métalliques soumises à des tensions haute fréquence différentes, que les pertes diélectriques étaient sans doute négligeables.
    La grande mode, c'était le quartz. ( On disait quartz, mais il s'agissait de silice fondue ). Il fallait qu'un condensateur soit isolé au quartz pour être digne de considération. J'ai même vu cette aberration d'un condensateur isolé par de petits canons de quartz. Les concepteurs de ce luxueux engin, n'avaient pas réfléchi que bien que le quartz soit intrinsèquement supérieur à l'ébonite, le champ dans les petites canons isolants étant des milliers de fois supérieur à ce qu'il était dans les flasques d'ébonite, les pertes dans le diélectrique de support devaient être probablement supérieures.
    Pour bien utiliser le quartz, il fallait faire ce qu'avait fait Pival, par exemple, qui fabriquait aussi des écouteurs. Ce constructeur avait sorti un condensateur variable pour ondes courtes, dans lequel l'isolement était fait par des sections de tiges de Quartz. Les parties métalliques étaient éloignées et les pertes diélectriques devaient être tout à fait négligeables.
    Malheureusement, ce condensateur Pival, dont j'ai par la suite acquis un exemplaire, avait, pour la réception des ondes courtes, un très grave défaut, commun à la plupart des CV à flasques métalliques. Il avait un palier en bronze côté axe, et une bille en acier sur l'autre flasque. Et, pour assurer un bon contact, une petite tresse était rivetée sur le rotor et sur la carcasse, mais le grave inconvénient est que cette petite tresse se trouvait court-circuitée par les contacts entre le rotor et le palier en bronze, et également à l'autre bout, entre le rotor et la bille d'acier. Ces contacts étaient de valeur fluctuante, si bien que la petite tresse était plus ou moins shuntée, et cela faisait des variations d'accord non négligeables au moment où l'on déplaçait très finement le rotor, à l'aide d'un dispositif à vis micrométrique, qui n'était pas mal fait d'ailleurs.
    J'en étais arrivé personnellement à préférer de loin un condensateur à flasques isolantes, de manière à ce que les parties métalliques assurant le pivotement soient réduites au strict minimum, et que le contact par la tresse soit, cette fois, le seul à compter véritablement.
    L'obsession des pertes diélectriques fut si forte que l'on fit même des condensateurs fixes à lames d'air (
photo ci-contre, toujours de F5ZV) pour les liaisons inter-étages ou la détection ; c'était onéreux, mais quelle classe !

    Revenons aux condensateurs variables ; c'est vers cette époque que les lames desdits condensateurs abandonnèrent la forme semi-circulaire qui avait cours depuis le début . Ce profil donnait une variation linéaire de la capacité en fonction de l'angle de rotation ( VLC ). Les stations en ondes moyennes se multipliant, on s'aperçut qu'elles étaient beaucoup plus serrées vers le début de l'engagement des lames . Pour pallier cet inconvénient, on imagina d'abord le profil " Square-Law " : en taillant les lames de telle sorte que la capacité varie comme le carré de l'angle de rotation, on obtint une variation linéaire de longueur d'onde (VLL).
(photo ci-contre, toujours de F5ZV ; cliquer sur l'image pour l'agrandir et bénéficier d'un commentaire (25 ko)

Par la suite apparut un autre profil, nettement plus allongé, censé donner une variation linéaire de fréquence (VLF) ; mais ce profil augmentait beaucoup l'encombrement de l'appareil et le rendait davantage microphonique, si bien qu'il a été peu utilisé . Lorsqu'on se mit, plus tard, à faire des condensateurs variables multiples, à plusieurs " cages ", on adopta un profil hybride, compromis entre le souhaitable et le facilement réalisable.

    Outre les condensateurs variables, on trouvait chez Pardessus une self à tout faire, en ondes longues et moyennes, qu'il avait baptisée " Le Gabion ". Elle était bobinée réellement en gabion à grand nombre de tiges, avec des prises et une bobine de réaction pouvant tourner à l'intérieur, etc...( Pour la réception des ondes courtes, j'ai fait aussi des selfs en gabion, mais sur sept tiges seulement ).
    C'est également chez Pardessus que j'ai fait l'acquisition de deux lampes Tungsram, qui étaient nettement plus performantes que ma première lampe. Je m'étais équipé pour pouvoir mesurer, ou tout au moins comparer, les pentes des triodes. Mon ancienne Radio-Micro avait une pente qui n'atteignait pas un milliampère par volt, évidemment cela nous semble tout à fait dérisoire maintenant ; alors que les lampes Tungsram dépassaient nettement le milliampère par volt. Tout cela sera dépassé par l'apparition des cathodes à oxydes, et la série A409, A410 de Philips, mais là c'est un peu plus tard.
    Par la suite, mais sensiblement plus tard, il y eut un grand magasin qui commença à faire de la vente à grand débit, et à baisser nettement les prix. Ce fut, dans le bas de la rue Mouffetard, Radio MJ. On y trouvait les pièces détachées radio pour beaucoup moins cher que chez Pardessus.
    Il n'y avait pas que Paris pour être bien achalandé au point de vue magasins de T.S.F. A Bicêtre même, derrière l'établissement, en redescendant un peu de l'autre côté, il y avait un petit magasin dans lequel j'ai acheté beaucoup de visserie, parce que les connexions se faisaient encore avec des vis et des écrous, des bornes à serrer, etc... Il fallait beaucoup de visserie.
    J'ai trouvé aussi dans ce petit magasin des transformateurs basse fréquence, bobinés sur des noyaux en fil de fer. J'y ai acheté également un haut parleur à col de cygne, de la marque Fordson. C'était ni plus ni moins qu'un gros écouteur à entrefer réglable, surmonté d'un pavillon recourbé ; et ma foi, cela nous semblait ne pas marcher si mal que cela.
    Je ne puis quitter cette évocation du matériel sans mentionner les condensateurs fixes au mica " Mikado ", qui, associés aux résistances "Oméga" formaient les organes de détection généralement employés.

    On était encore à l'époque des lampes à chauffage direct. Les deux lampes Tungsram, que j'avais achetées chez Pardessus, travaillaient encore à une température assez élevée. Le filament était moins brillant que celui de la radio micro. Pour le voir, il fallait toujours regarder par le bas des lampes, car elles étaient entièrement opaques, recouvertes par le getter. Alors que dans les anciennes lampes à forte consommation, les lampes TM, il n'y avait pas de getter. Je pense que ces lampes Tungsram devaient être de la race des lampes dites à l'azoture de Baryum. C'est à dire que le filament était recouvert de cuivre que l'on oxydait, puis le getter était produit par la décomposition d'un peu d'azoture de baryum, corps explosif, entre nous soit dit. Et la vapeur de Baryum dans l'ampoule allait réduire l'oxyde de cuivre, et s'oxyder elle même en donnant, en réalité, une couche, extrêmement mince évidemment, d'oxyde de Baryum. Ce fut une étape en attendant les futures lampes à revêtement épais d'oxydes alcalino-terreux.

            Les ondes courtes.
    Mes essais de réception à lampe se tournèrent très vite vers la réception des ondes courtes, parce que c'était dans l'air du temps. Et puis, il y avait l'idée sous-jacente de peut-être aborder l'émission d'amateur, quoique la nécessité d'apprendre le Morse ait toujours été un obstacle quasi insurmontable.
    Mais cet univers des ondes courtes m'intéressait beaucoup. J'ai donc réalisé moi même des bobines, me permettant de descendre en longueur d'onde et de monter en fréquence. Et j'ai été récompensé en captant, de ci de là, des émissions le plus souvent en Morse, provenants d'amateurs. Mais je ne pouvais pas les lire. J'ai entendu aussi quelques amateurs en téléphonie.
    Puis, la consécration a été la réception de l'émetteur expérimental, situé à Eindhoven, qui avait pour indicatif PCJJ, et qui a été le premier émetteur européen de grande puissance sur ondes courtes. A Bicêtre, je le recevais en haut parleur sans problèmes, et sans fading, en plein milieu de l'après-midi, ce qui avait beaucoup étonné un ami de mon père, qui était familier de la réception des ondes moyennes, essentiellement nocturne et souvent affectée d'un fading profond.
    La réception de PCJJ suscita un grand intérêt pour les ondes courtes. On décrivit même dans L'Antenne un récepteur spécialisé pour cette bande. Si je me rappelle bien, PCJJ émettait sur trente et un mètres, c'est à dire pas loin de dix mégahertz. En 1923, c'était avec une onde de cent mètres que F8AB, Léon Deloy, et 1MO, Schnell, avaient établi la première traversée de l'Atlantique. PCJJ était, sur trente et un mètres, sensiblement plus haut en fréquence.
    Je ne crois pas que les bandes d'amateurs aient été définies et limitées à l'époque, comme elles le furent par la suite. Je me rappelle très bien une série d'articles dans L'Antenne ( je crois bien qu'elle était signée Paul Berché ) qui s'intitulait Les quarante-cinq mètres. C'était divisé en trois parties : l'ondemètre, le récepteur, l'émetteur.
    L'ondemètre à absorption était facile à construire, plus difficile à étalonner.
    Le récepteur ressemblait beaucoup à ce que je faisais de mon côté.
    L'émetteur, c'était une autre question, il faisait appel à des lampes plus puissantes que celles dont j'avais la disposition.
    Ce qui ne m'empêcha pas de m'y essayer avec mes faibles moyens : j'avais confié à mon copain F, déjà cité, mon ondemètre à absorption réglé sur ma fréquence d'émission pour qu'il puisse régler son récepteur sur cette même fréquence ; nous avions synchronisé nos montres et convenu d'un protocole. Malgré tous ces soins, il ne décela jamais mon émission, qui devait se chiffrer en milliwatts ; il habitait Juvisy.
    Après PCJJ, qui était animé et financé par la société Philips, mais qui ne faisait aucune publicité pour sa marque, il y eut rapidement d'autres stations de broadcasting sur ondes courtes, et en particulier Radio-Vatican et Radio-Moscou, histoire d'équilibrer les propagandes.

            Récepteurs d'ondes courtes.
    Bien entendu, j'expérimentais sur mes récepteurs d'ondes courtes tous les montages possibles, c'est à dire toutes les variantes de la détectrice à réaction, le Bourne, le Reinartz, le Schnell qui ne se différenciaient guère que par la manière de doser la réaction, et le Flewelling, dont le montage original demandait trois condensateurs, de six millièmes de microfarats. Je serai bien incapable de dessiner maintenant ce montage. Puis, il en apparut rapidement une version équivalente et simplifiée qui ne demandait qu'un seul condensateur de six millièmes. Il fallait respecter traditionnellement la valeur du six millième pour faire du Flewelling, tout comme les deux mille cinq cent et mille cinq cent tours, pour les bobines de super-réaction.
    L'originalité du Flewelling, c'était de retourner la résistance de grille, non pas au +4, comme c'était le cas pour tous les autres montages, mais au + de la tension plaque, c'est à dire 40 ou 80 volts.     Ce qui, il faut bien le voir, ne changeait pas tellement les conditions de fonctionnement de la lampe, parce que en retournant au plus quatre, la grille, qui avait tendance à se polariser à plus deux volts, par rapport au centre du filament, débitait déjà du courant grille, et son potentiel ne montait pas beaucoup au dessus de 0.8 ou 1 volt par rapport au centre du filament. Et, en retournant la résistance de plusieurs mégohms, à la tension plaque, on augmentait le courant de repos dans la grille, mais on ne changeait pas tellement son potentiel, parce que la diode grille filament empêchait le potentiel de la grille de monter.         J'ai beaucoup bidouillé dans ce sens, mais je n'ai jamais réussi à faire fonctionner le Flewelling en super-réaction, comme c'était, parait-il, la tradition. Je n'ai pas dû avoir un couplage suffisant de réaction pour obtenir le blocage périodique de la grille.
    Comme pour le C119 bis, je ne puis résister au plaisir de tracer les schémas des trois montages de base : le Bourne, le Reinartz et le Schnell. Le Flewelling ne serait intéressant que si je me rappelais le schéma initial, ce qui n'est pas le cas.

 

 

    Montage Bourne







    Montage Reinartz







    Montage Schnell

 

    L etCV : organes d'accord. Rd et Cd : organes de détection. LR : bobine de réaction. CVR : condensateur variable de réaction. E : écouteur, casque ou primaire du transformateur d'entrée de l'ampli B.F. Ca : cundensateur ajustable de couplage d'antenne, de faible valeur.

    Le Bourne était le montage le plus économique, ne demandant qu'un seul condensateur variable ; mais il fallait réaliser un couplage variable de précision pour la bobine de réaction, pour pouvoir s'approcher très près du seuil d'accrochage des oscillations ( réception de la phonie ) ou à peine au-delà ( réception de la graphie ).
    Dans le Reinartz et le Schnell , le réglage de la réaction était fait à l'aide d'un condensateur variable, le Reinartz ayant l'inconvénient que les deux armatures de ce CV étaient des points " chauds ", ce qui posait des problèmes d'effet capacitifs de main. Le Schnell était exempt de ce défaut. J'ai dessiné les schémas tels qu'on les pratiquait à l'époque, mais le Reinartz et le Schnell ainsi construits laissaient de la H.F. sur l'organe E. Il aurait fallu intercaler entre la plaque et E une bobine d'arrêt (on dira ensuite improprement self de choc) et shunter E par un condensateur. Mais cela n'est venu que plus tard.
    Le couplage de l'antenne est inductif dans le Bourne et le Reinartz, capacitif dans le Schnell.
    Bien évidemment, tous les hybrides sont possibles entre ces montages de base.

    J'étais donc arrivé en moyenne à un poste à trois lampes, c'est à dire une détectrice à réaction, de schéma variable suivant l'humeur du moment, et puis deux basse fréquence équipées avec les transformateurs à noyau en fil de fer dont j'ai parlé précédemment.

            Alimentations.
    Cet ensemble commençait à consommer pas mal. Mes piles Féry assuraient encore vaillamment le chauffage des trois filaments, mais la petite batterie de 45 volts que ma mère m'avait achetée, fut plus rapidement épuisée. Pour la remplacer, je réalisai une batterie d'accumulateurs. J'avais donc ce paradoxe d'être à l'envers de beaucoup de sans-filistes de l'époque, en effet, j'assurais le chauffage avec des piles, et l'alimentation des plaques avec des accumulateurs.
    J'avais construit une batterie de quarante volts avec 20 petits flacons en verre tous pareils, rangés dans une caissette en bois qui s'était trouvée à peu près de la bonne taille, et, à cheval, de flacon en flacon, j'avais des bandes de plomb, que, suivant la tradition de l'époque, j'avais barbouillées de litharge, du côté qui devait être négatif, et de minium, du côté qui devait être positif. Je ne sais pas d'ailleurs si les oxydes de plomb avaient joué un rôle important, car, au bout d'un certain temps, le plomb lui même s'était formé, c'est à dire qu'il était devenu couleur métal bien propre, du côté négatif, et couleur oxyde puce, du côté des parties positives.
    Qui dit accumulateur, dit recharge. Or le courant du secteur était maintenant alternatif, et il fallait le redresser pour charger l'accumulateur.
    Pour la recharge de ma batterie d'accumulateurs de 40 volts, j'ai essayé, bien sûr, beaucoup de systèmes.
    J'ai essayé de construire des vibreurs, un peu inspirés du Lindet, mais avec des structures beaucoup plus légères, et à base de sonneries de téléphone à deux timbres. Comme il y avait un aimant permanent, un bobinage et un équipage mobile, il y avait tout ce qui fallait pour faire un vibreur. Malheureusement, il était extrêmement difficile d'obtenir la phase correcte des contacts par rapport à l'alternance du secteur, et j'ai été obligé d'abandonner rapidement cette voie.
    Alors, je me suis tourné vers les soupapes électrolytiques aluminium-fer ou aluminium-plomb, dans un électrolyte de bicarbonate de sodium. Là, cela a beaucoup mieux marché. Il suffisait de quelques lampes à incandescence en série, qui servaient à limiter le courant de charge, et puis, en même temps, de témoin de charge. En moyenne, cela m'a donné toute satisfaction, surtout le dispositif à quatre bacs qui permettait de redresser les deux alternances. L'inconvénient est que, de temps en temps, des échauffements intempestifs faisaient bouillonner le liquide. Une ou deux fois, il déborda, se répandit sur le parquet ciré, ce qui fut très médiocrement apprécié par ma mère, on la comprend.
    Une autre difficulté était aussi de trouver l'aluminium convenable, car, suivant les impuretés, l'aluminium se comportait très différemment. Certaines électrodes se corrodaient très vite, d'autres duraient beaucoup plus longtemps. L'effet redresseur était beaucoup plus net avec certains échantillons qu'avec d'autres. En général, ceux qui fonctionnaient le mieux, émettaient en fonctionnement une luminescence bleue, parfaitement visible dans l'obscurité.

                Les montages réflex.     Un poste sur commande.
    Comme ce fut un moment la mode, j'ai essayé des montages réflex consistant à utiliser la même lampe comme amplificatrice haute fréquence devant une détectrice, qui elle, ne pouvait faire que cela, et puis on revenait à la première lampe qui servait d'amplificatrice basse fréquence. Le principe était séduisant, mais cela aurait demandé une parfaite linéarité de l'amplificatrice, pour qu'il n'y ait pas de modulation des signaux l'un par l'autre. Ce n'était évidemment pas le cas et les montages réflex n'eurent pas un succès très durable. Ils réapparurent en Amérique ; la grande crise de 1929 ayant appauvri tout le monde, il y eut tendance à faire des récepteurs aussi économiques que possible. Mais ces récepteurs de pénurie ne durèrent pas bien longtemps.

    Toujours à Bicêtre, on me proposa de réaliser, moyennant une petite rétribution, un récepteur de T.S.F., destiné à distraire un peu de leur triste sort, les jeunes incurables qui constituaient un service, comme je l'ai dit précédemment. Là, j'ai fait un poste dans une ébénisterie décente, C'était le traditionnel panneau en ébonite avec les commutations apparentes. On trouvait tout ce qui fallait pour le faire d'ailleurs, manettes, plots, bornes, inverseurs à couteaux, etc...Je ne me rappelle plus comment était alimenté ce poste. Il devait avoir quatre lampes, une haute fréquence, une detectrice, deux basse fréquence. Je me rappelle qu'il était muni d'une self Le Gabion, achetée à la maison Pardessus ; une petite bobine tournant à l'intérieur dosait la réaction. Il se terminait par un haut parleur Céma, à pavillon en col de cygne. Cela fonctionnait correctement, tout au moins pour ce qu'on attendait de lui. Et si il a pu distraire un peu ces malheureux qui étaient vraiment abandonnés à leur sort, j'en suis content.

            Les "Trigrilles de puissance".
    C'est vers cette époque que j'appris par la presse technique la création des trigrilles de puissance, que l'on appela ensuite "penthodes BF", puis le " h " disparut après bien des discussions. Je fus quelque peu choqué par cette approche de la lampe de puissance ; jusque là, la tendance avait été de diminuer la résistance interne, pour mieux se rapprocher de l'impédance des haut-parleurs, de l'ordre du millier d'ohms, quitte à se contenter d'un coefficient d'amplification très bas : par exemple, en puissance croissante, les B406 ,B405 et B403 de Philips. Et voici qu'on nous proposait des lampes avec un très grand coefficient d'amplification et une résistance interne gigantesque, totalement désadaptée vis-à-vis de l'impédance des haut-parleurs !
    En plus, les courbes caractéristiques plaque étaient, en quelque sorte, tournées " à l'envers " de celles des triodes ! Il fallut un certain temps pour que j'admette que cette invention que je trouvais saugrenue pouvait avoir son intérêt.

            Le pick-up.    L'amplificateur à résistances.
    Vers la fin de notre séjour à Bicêtre, j'achetai mon premier disque de phonographe. J'étais entré en possession, je ne sais par quelle voie, d'un mouvement de phonographe : un mouvement à ressort, qu'on remontait à l'aide d'une manivelle ; un régulateur centrifuge assurait de son mieux la constance de la vitesse de rotation, nominalement 78 tours par minute ; j'avais aussi le plateau garni de drap pour poser le disque.
    Sur le marché de Bicêtre, un camelot annonçait : "Mieux que la TSF !" ; il vendait des disques et des " pick-up ", invention toute récente. Ma bourse étant plate, j'achetai UN disque et me dis que je pourrais faire le pick-up moi-même.
    Le disque en question était un disque de tangos, un sur chaque face. J'étais très sensible au rythme du tango et les accents passionnés et parfois tragiques que je pensais trouver dans les paroles ( je ne comprends pas l'espagnol ! ) s'accordaient bien avec mon caractère d'alors, romantique et mélancolique.
    On avait abandonné la gravure verticale et le saphir sphérique des disques Pathé au profit de la gravure latérale et de la lecture par aiguille d'acier, système qui dura jusqu'à l'apparition des microsillons.
    Pour le pick-up, je pris l'aimant et les bobines d'un écouteur, et remplaçai la mince plaque de fer par une armature pincée entre deux blocs de caoutchouc, munie à une extrémité d'un dispositif de serrage de l'aiguille et de l'autre d'une petite plaque de fer venant en face des pièces polaires de l'écouteur ; c'était exactement un système à réluctance variable, mais ce terme ne fut utilisé que bien plus tard, par la GEC, pour sa tête de lecture des microsillons.
    Mon pick-up ne pouvait prétendre à la Haute Fidélité ( on n'en parlait pas à l'époque ) mais il fonctionnait .
    J'avais construit pour la circonstance un amplificateur à résistances, celles-ci étant constituées par des frottis de crayon, les résistances commerciales étaient alors peu répandues et fort coûteuses, par exemple les Givrite : un bâtonnet d'aggloméré serti à chaque bout dans une capsule en laiton décolleté avec vis, rondelle et écrou. Les condensateurs de liaison étaient en papier à chocolat et papier paraffiné. Tout cela fonctionnait, et si ma tête de lecture peut horrifier quelqu'un qui n'a connu que les microsillons, je puis dire que j'en ai eu par la suite une de la marque réputée Brunet, qui était plus lourde que mon bricolage et dont l'armature mobile, plus courte que la mienne, était quand même assez massive !

            Le Baccalauréat.
    Lorsque je passai la première partie de mon bac, nous étions à Bicêtre, j'en suis parfaitement sûr. Lorsque je passai la deuxième partie, peut-être étions nous encore à Bicêtre, peut-être étions nous déjà à Boulogne-Billancourt ? Pour la facilité du découpage, admettons que nous étions encore à Bicêtre.

    Lors de l'oral de ma deuxième partie du bac, j'ai eu comme examinatrice en physique et chimie une femme sèche, d'aspect assez sévère, finalement bienveillante. J'appris par la suite que c'était Irène Curie.

    Nous allons maintenant quitter la partie consacrée à l'enfance et l'adolescence, et aborder simultanément une autre période et un autre séjour.

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