ANGICOURT    II

   En revenant à Angicourt, nous trouvâmes un changement. Le courant continu, fourni par les machines à vapeur et les dynamos de l'usine, avait été remplacé par du courant alternatif, fourni par la distribution régionale de l'électricité. Mais, cette fois, c'était du 50 hertz (on disait 50 périodes), et les lampes à incandescence ne scintillaient plus.
    Le premier remplaçant de mon père, celui que nous avions connu avant notre départ pour San Salvadour, n'avait a mes yeux rien de particuliers. Sa fille avait bien tenté de me donner quelques rudiments de tennis, mais devant ma maladresse dans les sports, elle avait abandonné assez vite.

      Monsieur D.
   Par contre, le remplaçant de mon père que nous trouvâmes au retour de San Salvadour, fut pour moi un mentor précieux, et je lui dois beaucoup. C'était un homme extrêmement aimable, je l'appellerai monsieur D, cultivé, intelligent, qui avait deux hobbies ; d'une part, les sciences naturelles ( il avait acquis une compétence certaine et reconnue dans l'étude des mousses ), et d'autre part, la T.S.F..
   Avant d'aborder tout ce que je lui dois sur le plan T.S.F., finissons en avec le plan histoire naturelle.

      Les Dixipus
   Quelqu'un lui avait rapporté d'Inde, je crois, des insectes bizarres qu'on nommait dixipus. Ces insectes ressemblaient à des brindilles de bois, avec imitation des nœuds de l'écorce, et tout le reste. Les pattes semblaient des petits rameaux desséchés. A vue d'œil, on ne pouvait pas distinguer la tête de l'autre extrémité. Néanmoins, ils mangeaient des feuilles de lierre, ils grossissaient, et même ils se reproduisaient.    Ils pondaient des œufs qui éclosaient et qui donnaient de tout petits animaux, semblables à leurs parents. Mais les petits ressemblaient moins à des brindilles, en outre, ils bougeaient bien d'avantage, si bien qu'ils devaient se faire dévorer plus facilement que leurs géniteurs, dont l'immobilité quasi totale assurait une meilleure protection.
   Monsieur D m'avait donné un certain nombre de ces intéressantes bestioles, que j'avais logées dans une caissette, avec une plaque de verre sur le dessus pour pouvoir les regarder. Et, j'allais de temps en temps cueillir des jeunes pousses de lierre, qui heureusement, ne manquaient pas à Angicourt. J'ai donc élevé, comme cela, pendant un certain temps ma colonie de dixipus.

         Le C119 bis
   Mais le plus intéressant pour moi était que ce monsieur D avait construit de ses mains, un C119 bis. Cela dira quelque chose à ceux, soit qui ont connu l'époque, soit qui ont lu avec attention les séries sur les débuts de la radio.
   Le C119 bis était un perfectionnement du C119. Parlons d'abord de celui-ci . C'était un poste à quatre lampes composé d'une haute fréquence avec circuit plaque accordé, circuit d'entrée aussi bien sûr, attaquant une détectrice avec réaction suivie de deux BF. C'était à peu près ce qu'on pouvait faire de mieux à l'époque, avant l'introduction des changeurs de fréquence.
   Le C119 bis était une variante qui, grâce à un couplage dosable entre la bobine d'antenne et la bobine d'accord plaque de la HF, permettait de contrer les oscillations qui avaient tendance à prendre naissance dans le premier étage, puisque les lampes en question, des TM ( télégraphie militaire, seules disponibles à l'époque ) étaient des triodes
( pour ceux que cela intéresse, la théorie de la triode est fort bien expliquée par F5ZV dans son site http://perso.wanadoo.fr/f5zv/ dans la rubrique"Triode"de la partie "Radio" ) dont la capacité grille-plaque couplait le bobinage d'antenne et le bobinage de plaque. On avait parfois utilisé ce montage comme émetteur sous le nom de TPTG ( tuned plate, tuned grid ) . Dans le C119 bis, un certain couplage inductif pouvait contrebalancer plus ou moins complètement le couplage capacitif et diminuer un peu cette tendance à l'oscillation.
   Je ne puis résister au plaisir de reproduire ici le schéma du C 119 bis


   V1 : amplificarice H.F. V2 : détectrice V3 et V4 : amplificatrices B.F.
   L1 et CV 1 : circuit accordé d'entrée
   L2 et CV 2 : circuit accordé de liaison ( résonance )
   L3 : bobine de réaction
   C1 : condensateur de détection ( de l'ordre de 100 pF )
   R : résistance de détection ( de l'ordre de 2 mégohms )
   C2 : condensateur de passage HF ( de l'ordre de 2 nF )
   T1 et T2 : transformateurs BF, traditionnellement de rapport 3 et 5

Monsieur D avait donc construit ce C119 bis. Il habitait le même pavillon que nous, mais au rez-de-chaussée, du côté précisément de l'allée des marronniers, au-dessus de laquelle s'étendait l'antenne qu'avait installée le Dr BR ( le Dr BR n'était plus là ). Monsieur D avait récupéré cette antenne, et il s'en servait pour son récepteur.
    Le C119 bis était installé, je le revois encore, sur la cheminée d'une pièce du logement qu'il occupait, et presque tout était fait main, y compris les bobinages, qui étaient des " nids d'abeilles ". Seuls les condensateurs variables et les lampes étaient du commerce. La réalisation n'était pas soignée en vue de l'esthétique mais en vue du bon fonctionnement et de la commodité des réglages. Les divers éléments du poste étaient très accessibles et le montage très lisible, ce qui était fort intéressant pour moi.
   Quand Monsieur D a remarqué mon très vif intérêt pour la T. S. F., il m'a volontiers admis dans le saint des saints, et à son contact, j'ai appris énormément de choses. En outre, monsieur D avait une épouse aussi gentille que lui et tout à fait charmante, ce qui ne gâtait rien. Il fallait que cette épouse soit compréhensive, car, en ce temps là, posséder un poste à quatre lampes n'était pas une mince affaire.
   Les lampes TM ( image ci-contre ) avaient comme source d'électrons des filaments de tungstène pur, qu'il fallait porter à très haute température pour qu'ils émettent suffisamment d'électrons. Elles travaillaient au blanc éblouissant et éclairaient absolument comme des lampes d'éclairage car l'ampoule de verre était transparente ; il n'y avait pas de " getter " ( Plus tard, la société Grammont teintera en bleu le verre des ampoules pour ménager les yeux des opérateurs ). Pour atteindre cette température, elles consommaient chacune 0.7 ampères sous quatre volts ; les quatre lampes demandaient près de trois ampères, et il fallait nourrir ces filaments gourmands, ce qui ne pouvait se faire qu'avec une batterie d'accumulateurs. Mais une batterie d'accumulateurs demandait qu'on la rechargeât, et le courant du secteur était maintenant du courant alternatif qu'il fallait donc redresser.

      Les Redresseurs
   Le redresseur qu'utilisait monsieur D était un redresseur à vibreur qui fut très répandu à l'époque qui s'appelait le Lindet, dont le constructeur travaillait en liaison avec la maison Ferrix, située à Nice si je me rappelle bien, qui fut sans doute la première à réaliser des transformateurs destinés aux sans-filistes. Entre parenthèses, c'étaient des transfos Ferrix qui alimentaient la station de 8AB lors de la traversée historique de l'Atlantique en 1923. Tous ceux qui ont pratiqué la TSF en ces années et même beaucoup plus tard se rappellent la forme très particulière des transfos Ferrix, dont le fer était constitué de bandes de tôle repliées en X ( d'où leur nom ), l'ensemble étant protégé par une enveloppe ovale très caractéristique.
   Après cette parenthèse consacrée aux transfos Ferrix, je poursuis celle consacrée aux redresseurs. Elle n'est pas à sa place dans ma chronologie, mais il me semble que des considérations sur les redresseurs sont mieux en situation ici , car c'est à cette époque que furent imaginés les systèmes les plus variés pour redresser l'alternatif en vue de charger les accumulateurs.
    Il y eut les vibreurs, comme le Lindet déjà cité ; un autre vibreur avait une originalité : il utilisait la charge résiduelle de la batterie pour créer le champ magnétique polarisant l'équipage vibrant, en sorte que l'on n'avait pas à se préoccuper de la polarité du branchement, la batterie était toujours chargée dans le bon sens. Les inconvénients des vibreurs étaient leur bruit, l'usure des contacts et les parasites radio qu'ils engendraient.
   Une méthode plus industrielle, sans doute plus onéreuse, était d'entraîner une sorte de collecteur par un moteur synchrone ; un de ces appareils portait le nom de Rosengart.
   Les redresseurs électrolytiques étaient plus à la portée du bricoleur ; ce fut d'abord l'aluminium dans une solution faiblement alcaline ( bicarbonate ou phosphate de sodium ). Les divers montages étaient possibles : redressement d'une alternance avec un seul bac, redressement des deux alternances par un montage en pont avec quatre bacs ou avec un seul bac avec un transfo à prise médiane et deux électrodes d'aluminium et une de fer ou de plomb. Le revers de la médaille était un rendement médiocre, d'où échauffement du liquide ; il faut ajouter la corrosion des électrodes, les sels grimpants, etc…Plus tard, pour des charges à faible régime, on utilisa un couple tantale-plomb en milieu très acide.
   L'émission thermionique fut aussi utilisée ; mais pour pouvoir "aspirer" les électrons émis par un filament de tungstène porté au blanc éblouissant sans recourir à une tension anodique élevée, il fallait neutraliser la charge d'espace par un milieu ionisé ; ce qui fut fait dans le redresseur Tungar ( Tungstène-Argon ) : un fort filament spiralé de tungstène était porté au blanc dans une ampoule contenant de l'argon sous pression réduite et une anode en forme de petit disque épais, sans doute en graphite, collectait les électrons émis par le filament lorsqu'elle était positive par rapport à ce dernier. La chute de tension était faible, mais suffisante pour porter l'anode au rouge. Je connais assez bien cet appareil, car, beaucoup plus tard, on m'a fait cadeau d'un de ces engins.    Plus tard, la société Philips, entre autres, développa des redresseurs à remplissage gazeux avec des cathodes moins gourmandes que le Tungar et travaillant à des températures beaucoup plus basses.
   A l'époque, les redresseurs à semi-conducteurs étaient dans l'enfance ; il n'était évidemment pas question des monocristaux que nous connaissons maintenant, cependant les interfaces Cuivre-Oxyde cuivreux et Fer-Sélénium allaient bientôt faire leur apparition ; mais les redresseurs destinés à charger des accumulateurs allaient disparaître lors de l'apparition des lampes secteur. Mais nous sommes encore très loin de cette révolution….

   Donc, monsieur D avait un ensemble redresseur Lindet-Ferrix, pour recharger ses accumulateurs, mais l'inconvénient de cet appareil, c'est que le vibreur faisait un bruit vraiment notable, et la solution qu'avait trouvée monsieur D, c'était d'enfermer son redresseur dans le bas d'une armoire bien fermée, et là, le bruit devenait plus supportable.    On voit que madame D était une épouse compréhensive, pour lui avoir cédé le bas d'une armoire, et supporté, en plus, le bourdonnement assez pénible de ce chargeur.

         Mes progrès en TSF
   Monsieur D m'a grandement aidé et poussé pour franchir l'étape entre le poste à galène d'une grande simplicité, et le monde tout de suite beaucoup plus compliqué des lampes. Il m'a appris toutes les bases. A l'époque, il fallait faire beaucoup de choses tout seul. On faisait même les douilles de lampes en enroulant du fil de bronze phosphoreux sur un foret de trois. Cela faisait d'excellentes douilles élastiques pour les broches des lampes.
   Il m'a montré comment faire les résistances. A l'époque, c'étaient des frottis de crayon. On faisait deux pavés de graphite bien noirs, en frottant un crayon tendre sur du papier à dessin. Et puis, pour les résistances de grande valeur, de quelques mégohms, on faisait simplement un trait de crayon entre les deux pavés.
    Pour les résistances de plaque, qui devaient faire théoriquement quatre vingt mille ohms, on faisait un frottis sur à peu près huit millimètres de large, pour réunir les deux pavés servant de prise, et situés à quelques centimètres l'un de l'autre , et puis on prenait le contact sur les plots a l'aide de rondelles de plomb serrées par des vis.
   Les petits condensateurs de liaison plaque-grille et les condensateurs de détection étaient faits de deux bandes de papier à chocolat séparées par un morceau de papier paraffiné de la grandeur d'un timbre-poste.    Tout cela avait des valeurs tout à fait approximatives, mais comme rien n'était critique, cela marchait quand même.

         Le " Duroquier "
   Monsieur D m'avait prêté le livre qui était la bible de tous ceux qui voulaient construire quelque chose de leurs mains, dans le domaine de la T.S.F.. C'était " La T.S.F. des Amateurs " de Franck Duroquier. Ce bouquin expliquait comment fabriquer soi-même tout ce qui était nécessaire, les bobinages, les bobines à curseurs, les bobines genre nid d'abeilles, fond de panier, toutes les résistances, les condensateurs, les transformateurs basse fréquence, et même les lampes.
   Là, je me permets de me poser la question de savoir si une personne a réalisé une fois une lampe de T.S.F., par la méthode exacte décrite par monsieur Duroquier. Il me semble que c'était une entreprise un peu surhumaine, étant donné d'abord la difficulté de se procurer les matériaux nécessaires ; puis la difficulté de faire un vide suffisant, même dans le très petit volume de sa lampe tubulaire, à l'aide d'un aspirateur de Sprengel, ou trompe à mercure, à une seule chute, sans même dispositif de remontée automatique du mercure.. C'était possible théoriquement, mais cela a-t-il été effectué réellement par des amateurs ? Je me permets d'en douter.
   Le brave monsieur Duroquier décrivait aussi la manière de faire un haut-parleur électrodynamique à une époque où les électrodynamiques n'avaient pas encore conquis le marché comme par la suite. D'ailleurs son électrodynamique était d'une structure totalement différente, et je pense que sur le plan du rendement et de l'amortissement, il devait être parfaitement désastreux. Enfin, monsieur Duroquier s'attaquait à tous les domaines de la T.S.F..
   En tout cas, ce livre fut extrêmement précieux pour toute une génération d'amateurs désireux de faire par eux-mêmes le plus de choses possibles.
   Dans sa générosité, monsieur D me fournît même du matériel pour continuer mes diverses manips. Il me fournit notamment le fil de trois à cinq dixièmes de millimètres, guipé de soie ou de coton, qui me fut fort utile pour faire des galettes à prises, me permettant de faire mes expériences de couplage.
    Il m'autorisa même à utiliser son C119 bis un jour où il avait dû s'absenter avec son épouse ; il m'accorda l'accès à son appartement et le droit de mettre en marche et régler l'appareil.
   Avec le poste à quatre lampes, on recevait bien entendu, beaucoup d'autres choses que simplement la Tour Eiffel et Radiola. On recevait des stations anglaises, des stations en petites ondes, ce qu'on appelle maintenant les ondes moyennes. Il commençait à y avoir quelques postes dans ces bandes là. C'était très intéressant.
   J'ai parlé tout à l'heure de l'alimentation des filaments des lampes TM . Disons un mot, à présent, des autres alimentations. La tension plaque était fournie par des piles, si bien qu'un poste à lampes était finalement assez onéreux, parce que les lampes coûtaient cher, ne vivaient pas très longtemps, et les piles sèches, de deux valeurs standardisées, ou quarante volts (en réalité 45 volts) ou quatre-vingt volts ( en réalité 90 volts), étaient formées de petits éléments assemblés dans des boites avec un remplissage de cire ou de brai, et ces blocs de piles étaient fort chers.
   Quant à la polarisation, on ne s'en occupait absolument pas ( elle n'apparaîtra que beaucoup plus tard ). Comme le filament était à chauffage direct, si on réunissait le circuit grille au potentiel de la partie la plus négative du filament, tous les autres points du filament se trouvant à un potentiel positif par rapport à la grille, il n'y avait pas de courant grille. En fait, il y avait une polarisation moyenne qui était d'à peu près le potentiel du milieu du filament, région d'où partait d'ailleurs la grande majorité des électrons. On avait donc moins deux volts réels, en se reliant au pôle négatif du filament. Pour faire détecter la lampe, on retournait sa résistance de grille, ou le circuit grille tout entier dans le cas de la détectrice à réaction non précédée de HF, cette fois au pôle positif du filament. Ainsi, l'extrémité de la résistance était réunie à environ plus deux volts par rapport au milieu du filament, et le léger courant que cela induisait dans la grande résistance de détection, portait le potentiel réel de la grille à une valeur tout à fait convenable pour assurer au mieux le redressement des signaux.

          Un mot sur la détection
   Je ne sais pas si beaucoup de sansfilistes, même lampistes confirmés, dans ces années 23, 24, 25, avaient une idée nette du mécanisme de la détection. On utilisait systématiquement la détection grille. Elle était obtenu magiquement à l'aide d'un petit condensateur de cent ou cent cinquante picofarads, souvent réalisé comme je l'ai déjà dit , avec un carré de papier paraffiné entre deux languettes de papier à chocolat, et une résistance de grande valeur. Ce n'est que plus tard, quand on commença à s'inquiéter un peu d'une meilleure fidélité de la détection, que l'on disséqua un peu le phénomène de détection pour voir qu'il s'agissait en réalité d'un redressement faisant apparaître sur la grille une composante "continue" variant au rytme de la modulation audio, ce que l'on peut décomposer en une composante véritablement continue et une composante audio-fréquence, ensuite amplifiées par la lampe, qui amplifiait également les composantes H.F. ce qui permettait de récupérer dans sa plaque de la H.F. pour faire la réaction.
    Mais ces phénomènes étaient assez mystérieux, tellement mystérieux que j'ouvre une parenthèse : quand on commença à faire du changement de fréquence, la convertisseuse s'appelait souvent première détectrice, et comme c'était une détectrice, eh bien, pour la faire détecter, on lui mettait dans la grille les organes magiques de la détection, c'est à dire le condensateur de cent cinquante picofarads et la résistance de quelques mégohms. Ces valeurs convenaient pour détecter de la BF ( encore que les aigües soient déjà atténuées notablement : 100pF et 1 mégohm atténuent de 3dB à 1600 Hz ), mais n'étaient pas adaptées pour détecter de la moyenne fréquence, bien que les premières moyennes fréquences fussent fort basses, 30 kilohertz, 60 kilohertz.
   Heureusement les non-linéarités assurant le " mélange " des fréquences ne manquaient pas.
   Fermons la parenthèse sur la détection.

         Mon premier poste à lampes
   C'est bien sûr monsieur D qui m'assista et me poussa a réaliser mon premier poste à lampes. Ce poste eut une durée assez brève mais il exista. Il était constitué par une haute fréquence à résistances suivie
d'une détectrice.


Schéma de mon premier poste à lampes

        V1 : Amplificatrice HF   V2 : Détectrice   LA : Self d'accord ( bobine à curseur )
      LR : Bobine de réactio ( galette massée )    C1 : 150 pf nominal
      C2 : 2 nf    R1 : 80 000 ohms nominal    R2 : 2 mégohms nominal    

   La résistance de plaque de la première lampe, le condensateur de liaison, et la résistance de grille de la deuxième étaient réalisés, par la technique indiquée un peu plus haut, sur une feuille de papier à dessin avec des frottis de crayon, et les bandes de papier à chocolat etc... La visserie était de la visserie Meccano, les douilles de lampes étaient faites par du fil enroulé sur une queue de foret. Le support de tout cela était une planchette de bois. Cela n'avait pas fière allure, loin de là. Le seul accord dans l'appareil, c'était le circuit d'antenne. Il était assuré par la capacité d'antenne, et ma bobine à un curseur qui trouvait là un rôle nouveau. Le tout fut essayé avec deux lampes empruntées au C119 bis de monsieur D, et les sources d'alimentation de celui-ci, bien entendu.
    Les premiers résultats ne furent pas glorieux. Cela ne marchait pas beaucoup mieux qu'un poste à galène. Alors, j'essayai de lui adjoindre une réaction capacitive à l'aide de ce qu'on appelait à l'époque un compensateur, c'est à dire un petit condensateur variable, capable d'avoir les lames mobiles à cheval sur deux systèmes de lames fixes. Dans le cas présent, il y avait une seule lame mobile et une lame fixe pour chaque côté ( c'était l'œuvre de monsieur W ). La lame mobile devait être reliée à la grille d'entrée et les deux lames fixes devaient être reliées aux anodes de chacune des lampes. Or, cela n'a pas marché mieux. Je commençais à être un petit peu ennuyé quand je me suis dit : " Monsieur D n'emploie pas de compensateur, il fait une réaction par un couplage magnétique, et non pas en utilisant des systèmes électrostatiques ".
    J'ai donc ressorti de mes trésors, la bobine massée que mon père m'avait achetée assez longtemps auparavant, et je l'ai intercalée dans le circuit plaque de la détectrice entre la plaque et l'écouteur, et je l'ai approchée, avec les précautions d'usage pour ne pas faire de court-circuit sur le 80 volts, de la bobine d'antenne. Et là, ö merveille, pour un des sens de présentation de la bobine, j'ai obtenu une amplification considérable, avant d'arriver à l'accrochage et aux sifflements caractéristiques d'un récepteur en auto-oscillation.
    Les résultats furent tout à fait intéressants pour ce petit poste à deux lampes. Entre nous soit dit, je crois que j'aurais obtenu à peu près la même chose avec une seule lampe montée en détectrice à réaction, parce que le gain de l'amplificatrice haute fréquence à résistances devait être très faible, peut être même, qui sait, une atténuation. Mais enfin, la réaction arrangeait tout.

               Connexions.
   Petit détail de construction : bien entendu, il n'était pas question de souder quoique ce soit. La soudure n'est apparue que beaucoup plus tard dans la construction des postes de TSF. Toutes les connexions se faisaient par vis, écrous et rondelles, avec du fil de cuivre ou de bronze phosphoreux, les puristes allant même jusqu'à se procurer du fil à section carrée, de manière à ce que les boucles qu'on formait avec la pince ronde soient serrées parfaitement à plat entre les écrous et les rondelles.
   Les connexions, traditionnellement, n'allaient jamais en oblique, par le plus court chemin ; non, pour que ce soit beau, il fallait n'utiliser que les directions parallèles aux trois axes cartésiens, d'où beaucoup d'angles droits ( et un allongement inutile des connexions ). C'était d'ailleurs du très beau travail, dont l'aspect avait souvent autant d'importance que les performances.
    Pour vous donner une idée du point jusqu'où cela pouvait aller, je me souviens d'avoir vu dans L'Antenne, un peu plus tard, la descition d'un poste à quatre lampes dont le panneau supérieur ( portant les lampes ) et la face avant ( portant toutes les commutations et les condensateurs variables ) étaient en verre, afin qu'on puisse admirer le câblage ! Le gars avait percé tous les trous à la main, les miroitiers ayant refusé ce travail en raison de la proximité des trous. Une bobine commutée étant munie d'origine de sorties en fils souples, il ne put supportes cette horreur et il expliquait longuement comment il avait pu les remplacer par des fils rigides bien rectangulaires !
   Bien entendu, mon bricolo à deux lampes sur une planchette de bois avec de la visserie Meccano ne correspondait nullement aux canons de la beauté.
   Ce poste à lampes, première tentative, que je n'ai pas pu utiliser longtemps, puisque je n'avais ni lampes, ni accumulateurs, ni chargeur, ni batterie de piles, m'avait enhardi et m'a poussé dans une aventure qui s'est soldée par un échec cuisant, jusqu'à ce jour resté totalement inexpliqué, que je narrerai par le menu à la fin de ce chapitre.

         Le poste Radiola .
   Mon père revint de San Salvadour et, comme là-bas, il fit acheter un poste de T.S.F. pour la distraction du personnel et des malades.
   Ce poste était un poste Radiola à quatre lampes. L'aérien était un cadre hexagonal et le récepteur était logé à l'intérieur du cadre, à la partie inférieure ; le haut-parleur était un diffuseur Radiolavox à cône de papier métallisé.
    Cet ensemble est celui qui figure au tout début du site "La Radio à Lyon" ( http://pascalsimeon.free.fr/radioly.htm )
    Nous sommes allés écouter ce poste et au retour chez nous, ma mère déclara : " Cela m'impressionne moins que nos petits écouteurs. "
   Je signale quelque chose d'amusant ; les lampes équipant alors les appareils Radiola n'avaient pas le même brochage que les TM et les radio micro ensuite. Ils avaient trouvé astucieux de déplacer la broche de plaque, pour la mettre dans le prolongement de la broche de grille. Si bien que l'on avait, petit particularisme, un brochage en " Y ", au lieu d'avoir un brochage en " cerf-volant ".

         La Super-Réaction.
    Le Dr BR avait quitté Angicourt, et il avait été remplacé par un Dr R, que mon père n'appréciait pas du tout. Il le tenait pour responsable du décès d'une ou deux malades, qu'il aurait blessées en pratiquant le pneumothorax ( insufflation d'azote dans la plèvre, pour mettre au repos le poumon malade, pratique courante à l'époque ). Enfin, ce n'était pas la grande sympathie entre mon père et le Dr R. et nous n'eûmes pas beaucoup de relations avec lui.
    Mais ce docteur avait à mes yeux un point intéressant : il était sansfiliste, et il s'était lancé dans un mode de réception, qui eut son heure de gloire et qui mérite d'ailleurs qu'on en parle un peu : la super-réaction.
    Comme il savait que je m'intéressais à la T.S.F., il m'avait fait monter une fois dans son appartement, et là, on entendait une station de petites ondes, je ne sais plus laquelle, en haut parleur, le haut parleur étant constitué d'un écouteur posé dans un chapeau melon.
    Il y avait, à cette époque, deux méthodes pour pratiquer la super-réaction. C'étaient le schéma à une lampe et le schéma à deux lampes. Le schéma à deux lampes était en principe plus facile à faire fonctionner, puisqu'on confiait l'oscillation de découpage à une lampe séparée, tandis que dans le système à une seule lampe, il fallait que ce soit la même lampe qui fasse les deux fonctions : fonction amplificatrice et fonction oscillatrice de découpage.
     Le Dr R avait réalisé les deux montages, et le montage à une lampe marchait très bien, comme je l'ai entendu, en haut parleur sur une seule lampe, et le montage à deux lampes ne voulait rien savoir.
    Pour l'oscillation de découpage, le Dr R avait réalisé deux bobines en nid d'abeilles, l'une de 1500 et l'autre de 2500 spires, (c'étaient les nombres traditionnels pour la super-réaction ) ; c'étaient de belles bobines !
    Je vais donner les schémas "classiques" de la super-réaction dans les années vingt ; commençons par le montage à deux lampes, plus rationnel.

    V1 : Amplificatrice à réaction et détectrice. V2 : Oscillatrice de découpage. LD et CD : circuit oscillat fixant la fréquence de découpage ( environ 20 KHz ).
    Pendant une partie de la période de l'oscillation de V2, la grille de cette lampe est positive par rapport au filament ; l'espace filament-grille est alors conducteur et shunte le circuit accordé LA-CVA, étouffant l'oscillartion qui avait pris naissance sous l'influence de LR. Pendant l'autre partie de la période, la grille de V2 est négative et V1 est libre pour amorcer une nouvelle croissance exponentielle du signal incident.

    Le montage à une seule lampe fonctionne sur le même principe, mais ici les deux fonctions sont assumées par la même lampe.

    Les éléments du montage à une lampe sont les mêmes que ceux du montage à deux lampes. La bobine LRD doit être shuntée par une capacité, pour que sa self élevée ne bloque pas les fréquences plus élevéesqu'exploite la bobine LR.

    Je ne pense pas que l'on reparle ensuite beaucoup de la super-réaction. On peut en dire un mot.
    Son principe est d'utiliser le formidable gain d'un amplificateur muni d'une réaction suffisante pour le transformer en oscillateur, au moment de la naissance de l'oscillation.
    Si, au départ, le gain de la boucle est plus grand que l'unité, tout signal présent sur l'entrée reviendra sur cette même entrée plus ou moins amplifié et le processus recommencera, la fréquence des aller et retour entre l'entrée et la sortie étant fixée par le circuit oscillant.
    On voit que la croissance est exponentielle et conduirait à une amplitude infinie si, quand le signal atteint une certaine amplitude, on n'entrait dans des régions non linéaires de la caractéristique de l'amplificateur, ce qui fait baisser le gain de la boucle. L'amplitude se stabilise lorsque ce gain est ramené exactement à l'unité. Ainsi démarrent les oscillateurs, sur le bruit, si faible soit-il, toujours présent sur l'entrée.
    L'amplification exponentielle du signal n'existant qu'en période de démarrage, le principe de la super-réaction est de recommencer périodiquement ce démarrage, à une fréquence inaudible. On peut obtenir ainsi une amplification considérable du signal incident.
    A l'époque, la super-réaction étonnait d'une part par ses performances, et d'autre part par un très désagréable bruit de chute d'eau entre les stations, l'oscillateur démarrant alors sur le bruit aléatoire présent sur l'entrée, ce qui nous emble évident maintenant mais restait mystérieux alors.
    Ce bruit de chute d'eau, on l'a de nouveau entendu, bien longtemps après, quand on a su obtenir des amplifications suffisantes, pour amplifier jusqu'à le rendre audible le bruit d'agitation thermique dans les circuits d'entrée, et le bruit de grenaille de l'émission électronique des filaments. Ce bruit de chute d'eau n'avait rien de particulier à la super-réaction, mais simplement la super-réaction était le premier montage que l'on ait réalisé avec un gain suffisant pour pouvoir porter jusqu'à l'audibilité le bruit dû à la nature corpusculaire de l'électricité.
    Malgré sa sensibilité extraordinaire, la super-réaction a été peu utilisée dans des récepteurs, peut-être précisément à cause de cet énorme bruit de fond entre les stations et aussi en raison de sa mauvaise sélectivité.
    Il y eut néanmoins une réalisation commerciale : celle du Docteur Titus Konteschweller , qui, pour améliorer la sélectivité, faisait précéder la lampe de super-réaction d'une amplificatrice HF, ce qui , en outre, permettait un fonctionnement correct sur les grandes ondes, là où l'effet "super-réaction" ne se manifestait guère, les fréquences incidentes n'étant pas suffisamment élevées par rapport à la fréquence de découpage, qui devait rester inaudible.

         Echec inexpliqué.
    Terminons, ce qui est d'ailleurs conforme à la chronologie, par l'échec que j'ai signalé plus haut.
   Bien entendu, comme j'ai bricolé à titre privé et expérimenté professionnellement tout au long de mon existence, j'ai essuyé pas mal d'échecs et de revers, c'est le lot commun, mais cet échec-là m'est vraiment resté en travers de la gorge.
   J'avais, avec des petites bobines massées à prises assez nombreuses, et des commutateurs formés par une lame de laiton, courant de tête de vis en tête de vis, fabriqué un poste à galène pour le concierge du sanatorium.    Ce poste fonctionnait, ma foi, comme tous les postes à galène du coin. Il permettait de recevoir la Tour Eiffel et Radiola sur un ou deux écouteurs suffisamment bien pour les oreilles affutées que nous avions en ce temps là.


Entrée du Sanatorium et pavillon du concierge,
théâtre de mon cuisant échec.

   Monsieur le concierge fut satisfait de son poste à galène et il me dit : " C'est vraiment dommage qu'on ne puisse pas entendre beaucoup plus fort, ce serait plus agréable pour toute la famille ".
- " Qu'à cela ne tienne, ai-je répondu, il n'y a qu'à construire un amplificateur. "
   Or, les lampes Radio-Micro venaient d'apparaître. Elles étaient devenues disponibles, et ce fut la première révolution dans le domaine des lampes. Ces lampes, au lieu de consommer 0.7 Ampère au filament, sous 4 volts, ne consommaient que six centièmes d'Ampère ( nous dirions plutôt maintenant soixante milliampères ) sous 3.5 volts ou 3.6 volts, avec des performances largement égales à celles des lampes TM, ce qui permettait de chauffer les filaments sur des piles.
   J'avais entendu parler d'une pile particulière inventée par monsieur Féry, qui utilisait un dépolarisant gratuit : l'air, et dans laquelle le zinc était préservé de toute corrosion inutile, par une immersion complète tout au fond du bocal. Je ne sais comment j'ai eu connaissance de ces piles Féry, je n'en ai pas possédé à l'époque ; nous en reparlerons plus tard.
   Donc, je dis à monsieur le concierge : " - On va faire un amplificateur basse fréquence ; il faudrait acheter deux lampes, trois piles Féry, un rhéostat faisant au moins un ohm ( valeur complètement fausse parce que un ohm sous 120 millis, cela ne fait que 120 millivolts de chute, et pour partir de piles qui, quand elles étaient fraîches, faisaient 4.5 volts, pour descendre à 3.5 volts, on était loin de faire le compte ; donc les lampes étaient surchauffées ; j'avais eu un mauvais renseignement ), une batterie de piles pour la tension plaques et deux transformateurs basse-fréquence
   Comme j'avais lu dans Duroquier, ce qui était vrai d'ailleurs, qu'une lampe amplifiait davantage en basse fréquence qu'en haute fréquence, j'en avais déduit que le poste à galène suivi de cet ampli basse fréquence, devrait surclasser largement mon poste à deux lampes. Je n'avais pas tenu compte de la réaction, il est vrai.
   Monsieur le concierge a envoyé sa femme à Paris acheter tout ce qui figurait sur la liste. Il y eut quelques déconvenues, parce que les piles qu'elle avait rapportées étaient des piles également à dépolarisation par air, mais des piles sèches de marque AD, plus onéreuses, puisqu'elles n'étaient pas rechargeables comme les piles Féry, dont le pôle positif durait indéfiniment, et où l'on n'avait qu'à remplacer la charge de sel ammoniac et le zinc quand il était mangé.
   Deuxièmement, les transformateurs basse fréquence, dont j'avais indiqué le prix approximatif d'après mes catalogues , étaient des transformateurs de rapport 1/1. Or, la tradition voulait que les deux transformateurs, quand il y avait deux B.F., soient de rapport 1/5 et 1/3 ( je ne me rappelle plus dans quel ordre il était prescrit de les disposer ).
   Cette brave dame est repartie à Paris échanger ces transformateurs. Les nouveaux étaient plus chers d'ailleurs. Et l'on s'est mis à réaliser l'amplificateur basse fréquence. Mais, dans l'intervalle, moi, pas fou, j'avais repéré qu'il y avait des lampes, des piles pour les filaments, des piles pour les plaques, et je me suis empressé d'apporter chez monsieur le concierge, ma petite planchette de bois avec mon bricolo. On a mis les lampes dessus, on a fait les branchements. Evidemment, le rhéostat n 'avait aucune influence, les lampes chauffaient beaucoup trop fort, à mon avis.
   Et le même miracle s'est reproduit, à condition de mettre la réaction bien entendu. Là, on a été dans l'euphorie. J'ai dit alors : " En basse fréquence, l'amplification est encore plus grande. Alors, vous allez voir ce que vous allez voir, ou plutôt entendre ce que vous allez entendre ! "
   On a donc réalisé avec un soin minutieux l'amplificateur basse fréquence, suivant un schéma pompé dans l'Antenne ou dans une autre publication. De toute façon, il n'y avait pas trente six mille manières.
   Et là, ce fut le désastre, cela n'a pas marché ! Pourquoi ? Je n'ai toujours pas compris.
   Mon père étant revenu, monsieur D était parti et je n'ai pas pu recourir à ses bons offices ; lui, il aurait trouvé la cause du non-fonctionnement. Moi, je ne l'ai pas trouvée, et le bijoutier de Liancourt, à qui j'étais allé montrer le schéma, ne l'a pas trouvée non plus. Si bien que j'ai été absolument couvert de honte pour avoir entraîné la famille du concierge dans des dépenses qui étaient relativement considérables, et de n'avoir obtenu aucun résultat.
   J'ai été sauvé par le gong, parce que c'est à ce moment là que nous avons quitté Angicourt, pour aller à Bicêtre, car mon père venait d'être nommé, cette fois avec un grade correspondant à sa fonction, économe de l'hospice de Bicêtre.
   J'ai appris par la suite que le concierge d'Angicourt avait fini par utiliser son matériel et construit une détectrice à réaction suivie de BF et que cela fonctionnait ; j'en fus soulagé, mais la honte n'en fut pas effacée.

    Je crois que nous pouvons en rester là pour Angicourt, et que nous pouvons déménager cette fois complètement, et aller nous installer à Bicêtre.

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