SAN SALVADOUR

   Je dois commencer cette page en remerciant Monsieur J-C Marchand, Directeur de l'hôpital San Salvadour, qui m'a fait parvenir deux ouvrages : l'un, dont il est l'auteur, consacré à l'histoire de l'hôpital et l'autre, signé Vincent Borel, retraçant l'histoire du domaine depuis les temps anciens. J'ai trouvé dans ces ouvrages beaucoup de renseignements et les illustrations de cette page proviennent presque toutes du livre de Vincent Borel,qui en foisonne. ( je me dois de signaler que ce livre San Salvadour, énigmes et réalités éditions Rosalba, Giens est vendu au profit de l'association Les Bougainvilliers de San Salvadour ).

   Le domaine de San Salvadour connut un passé quelque peu tumultueux (résidence privée, sanatorium pour enfants indigents,hôtel de grand luxe, établissement thermal...), chacun de ces avatars ayant apporté son lot de constructions.
   En 1922, la Ville de Paris acquit ce domaine et en confia une partie à l'Assistance Publique pour y installer son troisième hôpital marin (apès Berck et Hendaye), se réservant pour le moment l'Hôtel et le Château.


Ensemble du Donaine de San Salvadour

   Le domaine de San Salvadour avait la particularité d'être coupé en deux par la route côtière et par la voie ferrée de la ligne littorale de Sud-France ( Toulon- Saint Raphael ). Ceci était dû à la géographie de la région qui descend vers la mer d'une manière assez abrupte. La route et la voie ferrée avaient été construites à flanc de colline. Les bâtiments hospitaliers et les terrasses étaient situés dans la partie entre les voies de communication et la mer, tandis que l'Hôtel, le Château et les logements du personnel occupaient l'autre partie, sur le flanc de la colline. Un parc entourait les bâtiments.
   Ce parc était fondamentalement différent de celui que j'avais connu à Angicourt . Il y avait beaucoup de palmiers, " des arbres en zinc ", disait mon père qui aimait les forêts de l'Ile de France. Il y avait aussi des buissons de lentisque, des arbousiers, tout un maquis méditerranéen, des eucalyptus et des bambous également. Cela ne ressemblait en rien à ce que j'avais connu auparavant. Adieu les belles baguettes de noisetier !
   Un tunnel passant sous la route et la voie ferrée permettait une communication facile entre les deux parties du domaine.

   A l'époque, le Château, à l'achitecture très kitsch, n'avait pas été remis à l'Assistance Publique. Mais une jeune fille, dont j'ignore la qualification, nous le fit visiter et nous fit monter dans son belvédère, d'où l'on avait une vue magnifique. Elle fit même tinter manuellement la cloche de l'horloge, muette depuis longtemps.

            L'externat Saint-Joseph      Le "Macaron"
   Pour mon éducation, comme mes parents m'avaient promis de ne plus me mettre pensionnaire, il a fallu s'accommoder de ce qu'on trouvait sur place, ou presque sur place, c'est à dire que j'allais à l'externat St Joseph, petit établissement privé, situé à Hyères, donc à quelques kilomètres de San Salvadour.
   Pour m'y rendre, je prenais régulièrement, matin et soir, le petit train signalé plus haut et dont la gare "San Salvadour - Mont des Oiseaux" était trés proche de notre habitation.

 


La Gare en question.
Nous habitions le pavillon qu'on voit à gauche de la locomotive.



   On le surnommait " le Macaron ". On m'a dit que c'était parce que les macarons étaient vendus, collés sur des bandelettes de papier, et le petit train faisait penser à ces bandelettes. C'était un petit train à vapeur rustique, je me demande si il existe encore, peut-être converti en petit train touristique, ou s'il a totalement disparu. Mais à l'époque, c'était un moyen de transport très fréquenté. Pour nous, ce qui était intéressant, c'est que dans un sens il allait à Toulon, dans l'autre il allait à Hyères, qui étaient les deux villes qui encadraient les petits villages, parmi lesquels notre lieu-dit.

   A l'externat St Joseph, je n'ai pas appris grand'chose que je ne sache déjà, mais je fréquentais les bons pères, sécularisés d'ailleurs, qui tenaient cet externat et qui étaient tous des gens très bien. L'un d'entre eux, âgé, professeur de dessin, qui était le seul à m'apprendre vraiment quelque chose, m'avait pris en amitié, et je pense encore à lui avec beaucoup de tendresse. J'avais quelques camarades à l'externat, et aussi quelques camarades de train , qui faisaient le même trajet que moi, matin et soir.

            La source lithinée
     Mes camarades provenant du personnel de l'établissement étaient plus rares.Chose curieuse, alors que je me rappelle les prénoms de tous les enfants du personnel d'Angicourt, je n'ai retenu aucun prénom de mes camarades de San Salvadour.
    La seule chose dont je me souvienne, c'est qu'un jour nous avions découvert une porte cachée dans un recoin du parc. Nous avions réussi à l'ouvrir, je ne sais plus comment, et cela donnait sur une galerie complètement obscure. Alors, nous avions fait des torches, des flambeaux, et avec cette lumière précaire, nous nous sommes courageusement engagés dans la galerie obscure, qui débouchait à mi- hauteur, dans une salle, toujours aussi obscure, assez vaste, au fond de laquelle il y avait comme une ouverture de puits, munie d'un couvercle cadenassé, et où l'on entendait gronder de l'eau. Nous avons appris que c'était le captage de la source dite lithinée qui avait été la base de l'éphémère établissement thermal

   Au point de vue T.S.F., ce fut la déception, parce que nous étions trop loin de la Tour Eiffel et de Radiola et, en outre, dans l'ombre au point de vue ondes radio, par la chaîne des Maures qui était tout près et qui faisait un obstacle sérieux et tout proche vers le Nord. C'était trop demander à un simple poste à galène. Il m'a seulement permis d'entendre de curieux souffles entrecoupés, dont je n'ai appris l'origine qu'un peu plus tard.

   C'est à San Salvadour que nous avons fait connaissance avec le courant alternatif, mais sous sa forme la plus désagréable, car, la Provence, la Côte tout au moins, était en ce temps là desservie en vingt-cinq périodes, on ne disait pas encore vingt-cinq hertz. Et le vingt-cinq périodes, bien qu'on n'utilisât alors que des lampes à incandescence, donnait des images saccadées quand on déplaçait un objet un peu rapidement.

      Le poste à lampes commercial.
   Il y a quand même eu deux événements " sans-filistiques ", si j'ose dire. Le premier c'est que, pour la distraction du personnel qui s'ennuyait ferme dans cet endroit , relativement isolé, mon père a fait installer un poste de T.S.F. à lampes. Je me rappelle bien l'installation de ce poste, et notamment celle de l'antenne ; j'ai vu, à cette occasion, faire pour la première fois une soudure à la résine.
   Je ne peux pas faire de description précise de ce poste. Il devait avoir probablement quatre lampes comme tous les postes sérieux à l'époque. Tout ce que je sais c'est qu'il avait un nombre incroyable de réglages, car l'antenne était couplée par un dispositif à induction, composé de deux petits cadres tournant l'un dans l'autre, dont on réglait le couplage par cette rotation. Tout était accordable. Il y avait une multitude de manettes à plots et plusieurs condensateurs variables. C'était vraiment quelque chose de compliqué. Je ne me rappelle pas comment était assuré le chauffage des lampes, mais je me souviens des deux blocs de piles fournissant la tension anodique.
   Le démonstrateur a pris soin de nous noter les réglages favorables pour recevoir la Tour Eiffel et Radiola. Je ne me rappelle pas si on a reçu autre chose.
   Ce poste, je l'ai vu, entendu, mais très peu manipulé ; je n'y ai pas eu souvent accès, et il n'a pas présenté beaucoup d'intérêt pour moi. Ce n'était pas le premier poste à lampes que je voyais, mais c'était le premier que j'approchais d'aussi prés. Un dimanche de permission, un camarade du lycée de Beauvais ( il y en avait donc de sympathiques ) , connaissant ma passion pour la T.S.F. , m'avait invité dans sa famille à déjeuner et à passer l'après-midi chez eux, parce que son père avait un poste à lampes. Ce poste là, je ne m'en souviens pas du tout.
   Et puis, une autre fois , avec le fils du cuisinier d'Angicourt, qui était plus âgé que moi, nous avions enfourché nos vélos tous les deux, et nous étions descendus à Liancourt pour écouter les Anglais sur le poste à lampes du bijoutier, ce fameux bijoutier qui vendait des cristaux de galène (je lui ai d'ailleurs acheté une galène ce soir-là, comme "droit d'entrée"). Il avait , dans son arrière boutique, l'attraction des attractions : un poste à lampes sur lequel on recevait les Anglais. Là encore, j'ai écouté, vu de loin, mais je n'ai pas approché ce poste.

      Le Centre émetteur-récepteur de la Marine nationale.
   L'autre événement " sans-filistique " a été la visite du centre émetteur-récepteur de la Marine situé à Porquerolles. J'y suis allé avec ma mère ; nous avons pris le bateau, débarqué sur Porquerolles, un peu visité l'île et puis, comment nous sommes nous introduit dans le centre émetteur de la Marine nationale ? Cela, je n'en sais rien. Est-ce que mon père nous avait obtenu une lettre d'introduction ? Est-ce que j'y suis allé au culot, avec l'audace des timides quand quelque chose les passionne ?    Toujours est-il que les servants, si j'ose dire, de cette base, nous ont accueillis fort aimablement, tout contents de voir qu'un gamin et une femme s'intéressaient à leurs activités, et nous ont fait visiter leurs installations.
   Dans la salle de réception, ma mère a remarqué qu'ils avaient des détecteurs à galène, comme chez nous. Cela l'avait beaucoup frappée qu'une station officielle nationale utilise aussi la petite galène.
    J'eus l'explication de ces fameux souffles entrecoupés de claquements que je captais sur mon poste à galène : l'émetteur de cette station travaillait en ondes entretenue avec un arc Poulsen. Détail pittoresque : le moteur qui devait faire tourner les charbons de l'arc pour répartir l'usure équitablement étant tombé en panne, ils avaient bricolé une petite manivelle extérieure, et un marin tournait la manivelle pendant que l 'émetteur fonctionnait.
    Ils m'ont fait remarquer que leur manipulation se faisait, non pas en court-circuitant quelques spires de la self d'antenne, comme c'était assez courant, mais en décourt-circuitant une partie de la self d'antenne. C'était une particularité dont ils étaient extrêmement fiers. Ce qui fait que leur onde de manipulation était plus longue que l'onde de contre-manipulation, alors que dans la plupart des autres installations, c'était le contraire.
   Comme nous n'aurons plus l'occasion de côtoyer les arcs Poulsen, je vais en dire quelques mots.

      Les Arcs Poulsen
   Au temps de l'éclairage public par lampes à arc, l'Anglais Duddell remarqua que, dans certaines conditions, un arc pouvait entretenir les oscillations d'un circuit oscillant audio-fréquence. Ce fait n'a rien d'étonnant, la courbe caractéristique tension / courant d'un arc présentant une portion de pente descendante, correspondant à une résistance négative. L'arc "chantait" alors et Duddell fit même ainsi le premier instrument de musique électronique.
   Le Danois Poulsen (auquel on doit aussi le télégraphone, précurseur de nos magnétophones) pensa que l'arc pouvait sans doute engendrer des oscillations de fréquence plus élévée. Il travailla la question et présenta en 1903 un émetteur de TS
F à ondes entretenues engendrées par arc.
   Il prit un brevet, sage précaution, car quelques années plus tard les émetteurs à étincelles (ondes amorties) furent peu à peu remplacés par des émetteurs à arcs, dont les ondes entretenues permettaient une bien meilleure sélectivité. Ce sont aussi les arcs qui permirent les premiers essais de télephonie sans fil.
   Les arcs n'étaient pas exempts d'inconvénients. L'onde émise n'était pas une onde entretenue pure, mais plutôt une superposition d'ondes amorties se chevauchant aléatoirement ; d'où les souffles que je percevais sur mon poste à galène ( avec une entretenue pure, je n'aurais entendu que les claquements ).
   Et la manipulation posait des problèmes, car on ne pouvait pas éteindre et rallumer l'arc au rythme des signaux Morse.
   La solution généralement adoptée était de modifier la fréquence d'émission : c'était donc du FSK (frequency shift keying) avant la lettre, mais avec un shift considérable ; d'où cette embarrassante onde de contre-manipulation.
   J'ai figuré ci-contre un poste émetteur de télégraphie à arc, m'inspirant étroitement d'une figure du livre La Télégraphie Sans Fil par A.Berget (Hachette, Bibliothèque des Merveilles, 1921, collection F5ZV).
   L'arc est situé dans une enceinte close emplie d'une atmosphère non oxydante (hydrogène, vapeur d'alccol, etc...).
   Selon d'autres sources, l'arc était placé dans le champ magnétique d'un électro-aimant ; cette disposition n'est pas indispensable au fonctionnement.

      La Méditerranée.    La Côte d'Azur
    C'est à San Salvadour que j'ai fait connaissance avec la
Méditerranée. Je n'avais pas beaucoup connu la mer jusque là. Et là, je l'ai connue quasi quotidiennement, car le Macaron longeait la côte de très près, cette côte est magnifique, très découpée, avec des rochers rouges tombant à pic dans la mer bleue. C'était vraiment de toute beauté. Hyères est aussi une très belle ville avec des esplanades plantées de palmiers, etc… ( Cliquer sur l'image pour l'afficher en plus grand format et avec une meilleure définition (37 ko)
   Et, la nuit, nous avions droit, non pas aux concerts par T.S.F., mais au concert lointain des grenouilles des marais de l'Almanarre, peès de la presqu'île de Giens, et ces petites bestioles étaient tellement nombreuses, et coassaient toutes ensembles avec un si bel entrain, qu'à plusieurs kilomètres de distance, on les entendait très bien dans le calme de la nuit.
   Ma mère et moi profitâmes de notre séjour sur la côte d'Azur pour faire quelques excursions afin de connaître un peu cette région, où nous n'aurions probablement pas l'occasion de revenir avant longtemps. Je me souviens d'avoir, en bateau promenade, visité la rade de Toulon, où se trouvait rassemblée la flotte française de la marine nationale en Méditerranée. Il y avait des cuirassés, des croiseurs, des corvettes, etc… C'était assez impressionnant.
    La rade de Toulon est par elle-même très belle comme d'ailleurs tout ce littoral. Ce littoral, nous l'avons également exploré, un peu plus loin en poussant vers l'Est, plus loin que Hyères, c'est à dire vers St-Raphaël, Cannes, Nice, Monte-carlo. A Nice, nous sommes montés jusqu'à la Turbie, grâce à un funiculaire, je crois me rappeler. De là, on avait une vue extraordinaire.
   Je ne peux pas quitter San Salvadour sans mentionner deux cadeaux que ma mère m'a fait. L'un est une boîte de compas que nous avions achetée d'occasion chez un horloger bijoutier de Toulon. En ce temps là, les compas étaient bien faits, et sans avoir rien d'extraordinaire, ceux-ci m'ont accompagné toute mon existence, pendant mes études, pendant ma vie professionnelle, etc… Je les ai toujours et je m'en sers souvent.

      La mandoline .    Le phonographe.
   L'autre cadeau fut une mandoline. A Angicourt, j'avais pris l'habitude de jouer un peu de musique, uniquement d'oreille ,sur l'harmonium familial, et j'avais envie de faire un peu de musique. Ce n'était pas encore l'époque des guitares. Et, dans la région, c'était plutôt la mandoline. C'est assez beau une mandoline, avec ses bandes alternées d'ébène et de bois clair, un bel objet ! Alors, j'ai gratouillé là dessus, toujours d'oreille, parce que j'ai toujours été incapable de lire vraiment la musique.
   Une des infirmières du sanatorium, qui était mandoliniste passionnée, au point qu'elle en avait les bouts des doigts de la main gauche complètement cornés, durcis, marqués des deux sillons parallèles des doubles cordes de la mandoline, a essayé de me donner des bases plus sérieuses pour la pratique de cet instrument, mais j'étais trop paresseux pour m'y mettre vraiment. Je me suis donc contenté de gratouiller d'oreille quelques airs que j'avais appris.
   J'ai fait aussi à San Salvadour la connaissance avec le phonographe, que nous n'avions pas connu jusqu'alors, et là il y avait, destiné à la distraction du personnel, un phonographe que nous empruntions quelquefois. Les disques étaient des Pathé, gravure verticale, avec commencement de la spirale au centre, lecture par un saphir sphérique. Ce genre de disque, par la suite, disparut complètement. . Nous avions quelques tubes de l'époque : " Le plus joli rêve ", " La chanson des peupliers ", etc…Et, bien entendu, j'essayais de reproduire ces airs relativement faciles sur ma mandoline.

   Je crois que je n'ai plus grand chose d'intéressant à raconter sur San Salvadour. Je ne peux préciser combien de temps nous y restâmes. Mon défaut, c'est toujours ma chronologie absolument incertaine. Je sais que j'y ai passé un hiver et que j'ai vu de la neige sur les palmiers.
   Nous avons eu froid à San Salvadour car les murs de la maison n'étaient pas épais et rien de sérieux n'était prévu pour le chauffage. Dans ces pays du soleil, prévoir le froid doit être considéré comme une insulte !
    Ma mère et moi remontâmes à Angicourt, avant que mon père ne vienne nous y rejoindre, et là s'ouvrit pour moi une période, courte mais passionnante sur le plan T.S.F., celle d'Angicourt 2.

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