Le Laboratoire du Professeur Audubert


     Dans ce laboratoire, une demi-douzaine de personnes travaillaient, d'une part, à monter les expériences destinées aux travaux pratiques des élèves de l'Institut de Chimie, et, d'autre part, à des recherches orientées par le professeur lui-même.
     Les manipulations prévues pour les élèves dans le laboratoire du professeur Audubert étaient très variées. Il y avait bien sûr les mesures de pH, soit par l'électrode à hydrogène, soit par l'électrode à quinhydrone, soit à l'aide d'indicateurs colorés, des préparations de solutions tampons, donnant des pH étalons, mesures de conductibilité des électrolytes, et puis d'autres mesures, par exemple la mesure du pouvoir calorifique d'un gaz, et aussi la mesure de la radioactivité d'une eau minérale; cette manipulation,très délicate en raison de l'incompatibilité entre l'humidité et le très haut isolement requis par la chambre d'ionisation, appelle un petit commentaire.
     La radioactivité, avant la deuxième guerre mondiale, jouissait d'un crédit plutôt bénéfique. J'en veux pour preuve cette affiche publicitaire assez répandue à Paris en faveur de la crème Tho-Radia "aux sels de Thorium et de Radium", qui représentait un visage de femme, éclairé par un rayonnement en éventail, sortant d'un pot de crème. Heureusement pour la peau des utilisatrices, vu le prix des sels de Radium, il ne devait pas y en avoir beaucoup…
     (
Il y en avait tout de même ; j'ai eu récemment connaissance d'un site très documenté consacré à l'histoire de la gamme de produits Tho-Radia : http://monsite.wanadoo.fr/tho-radia/ de Thierry Lefebvre et Cécile Raynal, site rattaché au site général de Thierry Lefebvre : http://lefebvre-th.monsite.wanadoo.fr/ )
     A la même époque, on avait constaté que l'efficacité des eaux minérales, prises au griffon de la source, était nettement plus grande que celle des eaux minérales achetées en bouteilles. On avait pensé que cette différence d'efficacité provenait de la présence de "l'émanation du Radium" ( que l'on appelle maintenant Radon ) dans les eaux minérales, issues de terrains granitiques, comme elles sont presque toutes. Et la période de demi-vie du radon étant assez courte, la radioactivité de l'eau minérale décroissait assez vite. On avait même créé un service particulier, appelé Vichy rapide, qui permettait d'avoir à Paris de l'eau de Vichy n'ayant que quelques heures depuis sa sortie du griffon. Je ne sais pas si la manip montée au Labo avait un lien plus ou moins direct avec ce service.
     Maintenant, les opinions sur la radioactivité, en particulier depuis Hiroshima et Tchernobyl, sont beaucoup moins bienveillantes.

     Les recherches menées dans le laboratoire étaient également très variées.

     C'est ainsi que mademoiselle Quintin travaillait sur des électrolytes, leur conductibilité, les potentiels d'électrodes, etc. Monsieur Rouleau travaillait sur des redresseurs à base de semi-conducteurs, en particulier le silicium polycristallin. Il faisait aussi des expériences sur la transmission du son par rayons lumineux. Une jeune vietnamienne faisait une thèse sur les piles sensibles à l'action de la lumière, etc.

               Premier sujet de recherche.
     Il y avait aussi un sujet sur lequel ils travaillaient à temps partiel : l'éventuelle émission de rayonnement ultraviolet par des réactions chimiques à température ambiante. Le professeur Audubert était persuadé que certaines réactions chimiques devaient émettre des rayons ultraviolets, et il avait lancé une étude là dessus.
     Pour mon plus grand bonheur, je fus la personne chargée à temps plein de cette étude passionnante. Pour détecter de très faibles rayonnements ultraviolets, je trouvai tout installée une technique qui avait servi au professeur Audubert à étudier l'ultraviolet du ciel nocturne.
     Le principe était d'utiliser l'action de l'ultraviolet sur les métaux ou mieux sur certains corps semi-conducteurs. Si vous vous rappelez ce que j'ai écrit au sujet de mes expériences à Bicêtre, j'avais évoqué le reproduction d'expériences de Gustave Le Bon montrant qu'une surface métallique fraîchement nettoyée, exposée à l'ultraviolet solaire, faisait perdre la charge d'un électroscope à feuilles.
     C'était le même principe, mais adapté à des rayonnements beaucoup plus faibles, car au lieu d'observer un effet cumulé sur une charge électrique, on s'efforçait de détecter l'arrivée de quelques photons ultraviolets capables d'arracher quelques électrons à la surface sensible et ces électrons convenablement accélérés dans un gaz sous pression réduite pouvaient déclencher une avalanche et provoquer une impulsion électrique décelable : le même principe que les compteurs Geiger-Muller qui utilisent également ce phénomène d'avalanche pour amplifier considérablement l'ionisation créée par une particule.
     Cette technique existait. Je n'ai eu qu'à la mettre en œuvre et la peaufiner le mieux possible par le choix des semi-conducteurs utilisés qui étaient en général l'oxyde de cuivre ou le sulfure de cuivre, et par le choix du remplissage gazeux et de la pression résiduelle.
     Nous appelions l'appareil un compte-photons. Matériellement, la cellule sensible était une ampoule en verre, démontable grâce à un joint graissé par une graisse spéciale à très faible tension de vapeur, fermée par une fenêtre de quartz collée à la picéine laissant arriver les rayons ultraviolets jusque sur la cathode qui lui faisait face, et que le joint graissé permettait de remplacer.
    
Compte-Photons du Professeur Audubert.
     Vue en coupe de l'appareil. La verrerie était en Pyrex et les passages en tungstène.
A : anode (anneau se tungstène). SA : sortie d'anode. K : cathode ( le plus souvent en cuivre). SK : sortie cathode. CS : couche sensible. JG : joint graissé. Q : lame de quartz. P : scellement à la Picéine. R : robinet de pompage.

     Une tubulure et un robinet graissés de la même graisse permettaient de faire le vide partiel dans cet appareil. Nous n'ajoutions pas, comme cela se fait depuis longtemps dans les compteurs Geiger, de corps capable de rendre l'avalanche auto-extinguible.
     Donc il fallait, pour que l'avalanche ne s'entretienne pas, insérer une très grande résistance dans l'alimentation de la cathode. Ces résistances étaient faites en mettant dans des tubes de verre munis d'électrodes, scellés ensuite, un mélange d'alcool éthylique et de xylène. En faisant varier les proportions, on obtenait des résistances de plusieurs centaines à plusieurs milliers de megohms, et on adaptait la résistance à la cadence des coups que l'on pouvait compter.
     Pour compter les impulsions, c'est-à-dire les arrivées de photons, nous utilisions un amplificateur à lampes. C'étaient des lampes secteur américaines, et l'amplificateur avait été construit par un jeune homme nommé Luc.
     Ce jeune homme faisait beaucoup de choses diverses dans le laboratoire. Je n'ai jamais su quel était son statut particulier. Mais c'était une relation très intéressante, car il avait ses entrées dans le monde du cinéma parlant qui venait de débarquer en Europe. Bien entendu, comme nous ne disposions pas d'oscilloscope et que nous n'avions à l'époque que des idées très vagues sur le traitement des impulsions, nous avions des résultats assez curieux et la mise au point de l'amplificateur se faisait d'une façon très empirique.
     Derrière l'amplificateur, il y avait un haut-parleur et il y avait aussi un relais très sensible, à contact en or, qui actionnait à son tour, un compteur téléphonique.
     Notre appareil, ayant toutes les caractéristiques d'un compteur Geiger-Muller, détectait les rayons cosmiques et , même dans l'obscurité, on enregistrait un certain nombre de coups par minute. Mais il était en plus sensible aux photons d'une énergie suffisante. Quand tout allait bien, le dispositif était assez sensible pour qu'une allumette, craquée à quelques mètres, provoque une rafale de craquements dans le haut-parleur. Rafale qui s'interrompait immédiatement en intercalant une simple lame de microscope devant la fenêtre de quartz. C'était bien l'ultraviolet qui agissait.
     La haute tension nécessaire à l'alimentation du tube à décharge, était assurée par un empilement de piles de 90 volts, et on réglait la tension en choisissant le nombre de piles, et, au besoin, en faisant des prises sur une des piles de la série. Il faut noter que cet ensemble était finalement dangereux, parce qu'une tension d'un millier de volts assurée par des piles, pouvant en court-circuit débiter de l'ordre de l'ampère, représentait un risque mortel. Mais sur le moment, on n'y pensait pas.
     J'eus à faire des expériences systématiques en changeant les réactions chimiques ; le plus souvent, c'étaient des oxydations comme l'oxydation du pyrogallol par le permanganate de potassium ou par l'eau oxygénée. Côté détection, j'essayais diverses surfaces sensibles, généralement du cuivre recouvert d'une couche d'oxyde ou de sulfure, dont on faisait varier l'épaisseur. La pression du gaz résiduel était une variable supplémentaire dans cet éventail assez vaste de paramètres.

     Alors, il m'est arrivé la pire chose qui puisse arriver à un chercheur. Une après-midi, on a observé une oxydation qui semblait vraiment émettre de l'ultraviolet. Quand on mettait une lame de verre sur la cuvette où se mélangeaient les corps, les comptages passaient à leur rythme d'obscurité. Ils reprenaient une cadence plus rapide quand on enlevait la lame de verre, et, pendant une assez longue période, on a eu l'impression qu'on avait bien mis en évidence l'ultraviolet émis par une réaction chimique à froid. Cela se passait à peu près au bout de trois mois de ma première année, et, pendant le reste de cette année, je n'ai jamais pu reproduire cette expérience.
     Dans l'hypothèse où l'on retrouverait à nouveau le fonctionnement, il fallait savoir, non seulement constater le rayonnement émis, mais aussi le mesurer. Il fallut pour cela étalonner, en quelque sorte, nos compte-photons grâce à une lumière ultraviolette pure dont on pouvait connaître l'intensité au départ, et que l'on atténuait grâce à des écrans convenables dans un rapport considérable et assez précisément connu.
     Ces manips ont été très instructives pour moi. Nous avons mesuré l'intensité du rayonnement d'une lampe à résonance à vapeur de mercure, émettant sur la raie de résonance du Mercure à 2537 angström ( nous dirions maintenant 253,7 nanomètres ). On mesurait ce rayonnement à l'aide d'une pile thermoélectrique qui indiquait la puissance reçue en milliwatt ou micro-watt par centimètre carré. L'atténuation ultérieure était réalisée par des cuves à parois de quartz, contenant toujours le mélange alcool-xylène, cette fois en proportion inverse, c'est-à-dire beaucoup d'alcool dans lequel on avait ajouté un peu de xylène qui absorbe les ultraviolets. On mesurait l'atténuation du faisceau par une telle cuve ; on savait qu'en en mettant deux, l'atténuation serait élevée au carré, en en mettant trois, au cube , etc.
     Ces mesures nous montrèrent que la sensibilité de nos compte-photons était réellement considérable. En dépit de cette sensibilité, je n'ai jamais pu, au cours de la fin de ma première année, reproduire l'expérience qui semblait avoir si bien marché une fois. Ce fut extrêmement frustrant !

               Deuxième sujet de recherche.
     Ma bourse fut renouvelée pour une deuxième année. Cette fois, le Professeur Audubert me remplaça dans la recherche du rayonnement ultraviolet des réactions chimiques, par un Tchèque, venu poursuivre ses études en France, qui était plus âgé que moi. Monsieur Audubert espérait qu'en raison de son expérience plus grande, il réussirait mieux dans cette recherche délicate. On me mit sur un sujet qui me passionnait beaucoup moins : des recherches de potentiel d'oxydoréduction où je travaillais directement dans la mouvance de mademoiselle Quintin, une femme charmante d'ailleurs.
     Ce qui me chagrinait le plus était d'abandonner l'électronique qui entourait le compte-photons et notamment l'amplification des impulsions, où nous commencions à acquérir empiriquement une certaine expérience.
     J'ai eu quand même à faire un peu d'électronique très délicate, parce qu'on dut mesurer des pH à l'aide d'électrodes de verre. Or, les premières électrodes de verre étaient extrêmement résistantes, au sens électrique du terme, et extrêmement peu résistantes, au sens mécanique du terme. La méthode la plus précise, pour mesurer les potentiels des deux cotés de la paroi de verre, était l'emploi d'un tube électromètre. C'est une lampe triode dont la cathode travaille bien en dessous du rouge, l'anode et la " grille " étant deux plaques métalliques situées de part et d'autre du filament.
J'ai travaillé avec deux tubes électromètres de ce genre : l'électromètre Philips dont l'ampoule était volumineuse, et l'électromètre Gécovalve dont l'ampoule était plus petite. La sortie de l'électrode dite grille se faisait soit au sommet de l'ampoule dans le Philips, soit au sommet d'une longue corne dans le Gécovalve. Et le verre devait être nettoyé très soigneusement à l'extérieur. Mais il fallait éviter d'électriser le verre. C'était extrêmement délicat. Le moindre frottement sur l'ampoule développait des charges électriques beaucoup plus importantes que celles que nous voulions mesurer.
     En outre, il fallait pouvoir mettre à la masse les points de référence, ou les libérer, sans créer de charge électrique. C'est beaucoup plus difficile que cela n'en a l'air, et il n'est pas question d'utiliser un interrupteur normal.
     Mes aptitudes au bricolage délicat trouvèrent leur emploi, mais c'était moins intéressant quand même que la recherche sur les émissions d'ultraviolets. Je ne sais pas si mon successeur a eu plus de chance que moi. Il me semble que s'il avait réussi pendant que j'étais au laboratoire, dans une salle voisine, on m'aurait appelé pour me montrer l'expérience.
     Je ne sais pas si ces fameuses recherches ont ensuite abouti et s'il y a eu des publications scientifiques à ce sujet.

               Les piles étalon Weston
     Pendant la période où je travaillai sous la direction de mademoiselle Quintin, celle-ci me dit un jour : " Nous manquons de piles étalon dans le laboratoire. Voulez-vous m'en fabriquer six ? Et vous en aurez une pour vous. "
     Déjà à Bicêtre, j'avais eu un grand intérêt pour les piles étalon. J'avais même fabriqué un élément Latimer-Clarck avec mes faibles moyens.
         
(L'élément Latimer-Clarck est constitué de la chaîne Amalgame de Zinc/solution de sulfate de Zinc/sulfate mercureux/Mercure ; sa force électromotrice est de 1,434 volt. Il a servi d'étalon, mais a été supplanté par l'élément Weston, qui en dérive en remplaçant le Zinc et le sulfate de Zinc par le Cadmium et le sulfate de Cadmium ( f.é.m. 1,08 volt ) parce que l'amalgame de zinc attaque le fil de platine qui sert de sortie .)
     J'acquiescai donc de grand coeur à cette proposition. Nous commandâmes les produits chimiques les plus purs que l'on puisse se procurer. Nous commandâmes aussi au verrier, dont l'atelier était situé en face de l'institut de chimie, de l'autre côté de la rue Curie, six verreries traditionnelles en forme de H pour nos éléments Weston.
     Je purifiai encore un peu plus le sulfate de Cadmium par cristallisation fractionnée. Je broyai le sulfate mercureux avec du mercure ultra-purifié par distillation, pour réduire les traces de sulfate mercurique qu'il pourrait contenir. Puis j'assemblai les éléments qui étaient du type saturé, plus faciles à faire et moins sensibles aux pollutions, que les éléments avec une solution normale ou ceux avec une solution décinormale.
     Ces éléments ayant pris leur équilibre, on les porta chez le professeur Marie, dirigeant la section Electrochimie, qui possédait des éléments Weston utilisés pour la définition pratique du volt. Il était en relation avec les principaux laboratoires de la planète, et les différents étalons étaient périodiquement comparés entre eux. On n'aurait pu trouver mieux pour étalonner nos éléments .
     Nos éléments sont revenus avec chacun une fiche signalétique, donnant la force électromotrice avec un nombre impressionnant de décimales, à une température bien déterminée. Et j'ai hérité d'un de ces éléments.
     Quelque temps après, mademoiselle Quintin me dît : "Vous n'utilisez pas votre élément en ce moment ? Cela nous arrangerait bien si vous pouviez nous le prêter."
     J'ai donc rapporté mon élément, que je n'ai jamais revu d'ailleurs...
A vrai dire, pour le moment, il ne m'a pas fait défaut, car je ne vois pas trop ce que j'aurais pu en faire. Mais plus tard dans ma vie professionnelle, j'ai été obligé de faire acheter par mon employeur un élément Weston commercial.

     Ma bourse n'étant reconductible qu'une seule fois, à la fin de ma deuxième année, je me trouvai sans emploi. J'en parlai donc au professeur Audubert, avec qui j'ai toujours eu d'excellents rapports et qui m'avait pris en amitié, malgré les malheurs que j'avais causé dans son laboratoire...
     En effet, j'avais percé un four en y laissant tomber un fragment de cuivre.
     J'avais collé les contacts du fameux relais à contacts d'or, parce qu'ayant remarqué que le courant du compteur téléphonique faisait des étincelles assez notables, j'ai eu la malencontreuse idée de shunter les contacts par une capacité, sans mettre de résistance en série. Naturellement, quand il y a eu contact, le courant de décharge de la capacité a soudé les électrodes du précieux relais qu'il a fallu envoyer en réparation.
     Enfin, j'avais mis le feu au plancher du laboratoire. Comme j'avais toujours froid aux pieds, j'avais installé sur des briques, pour qu'elle ne touche pas le plancher, une résistance, bobinée sur une plaque d'amiante. Un jour où j'avais oublié de la débrancher pendant l'heure de midi, elle a glissé, s'est partiellement court-circuitée, est venue en contact avec le plancher, et y a mis le feu, si bien qu'il a fallu l'intervention des pompiers et de la mousse carbonique un peu partout, pour venir à bout du désastre .

               Petits boulots.
     Mais monsieur Audubert ne m'en a pas tenu rigueur. Son personnel étant au complet, il ne pouvait pas m'employer dans son laboratoire. Pendant que, de mon côté, je cherchais quelque chose dans l'industrie, il m'a procuré un emploi provisoire dans un laboratoire de l'Institut Rotschild, situé dans le même campus que l'Institut de Chimie. Là, mes appointements n'étaient que les deux tiers du montant de la bourse, et j'ai été occupé quelques mois, notamment à mettre en service un électromètre à corde. Celui-là, j'ai réussi à ne pas le casser, pourtant c'est extraordinairement fragile.
     Mais ce n'était pas le Pérou évidemment. Alors monsieur Audubert m'a procuré quelques travaux personnels. J'ai réalisé pour un autre laboratoire un ensemble pour alimenter des compteurs Geigeir ou des compte-photons, c'est-à-dire une alimentation stable et réglable néanmoins, d'un millier de volts, pouvant varier entre 250 et 1000 ou 1200 volts.
     Et également un amplificateur pour compter les impulsions; mais cette fois, pour commander le compteur téléphonique, je n'ai pas utilisé de relais à contact d'or (j'en avais un trop mauvais souvenir !), et puis c'était beaucoup trop cher. J'ai utilisé un thyratron; je n'avais pas le risque de souder les contacts, mais, lors des premières mise au point, j'ai quand même vu voltiger à travers l'ampoule du thyratron, quelques morceaux du revêtement de la cathode !
     J'ai réalisé aussi, pour un autre laboratoire, un générateur de courant alternatif, à fréquence audible, aussi parfaitement sinusoïdal que possible. Ce générateur était destiné à alimenter un pont pour la mesure de la conductibilité des électrolytes. Pour cette mesure, la compensation des capacités parasites se fait d'autant plus facilement que la fréquence est plus pure. La difficulté était que l'impédance alimentée était très basse, parce que c'était un pont à fil de grande précision, et la résistance du fil était de quelques ohms,. J'ai utilisé, comme étage final, une de ces lampes à chauffage sous 0.6 volts, destinées au cinéma parlant, que j'ai déjà évoquées précédemment. Bien entendu, c'est Luc qui m'avait procuré ces lampes.

               Evolution de la TSF.
     Pendant que se déroulaient mes années de laboratoire, l'évolution de la TSF continuait.
     Apparut bientôt une nouvelle série de lampes américaines, dont les " petites " lampes chauffaient sous 6,3 volts et 0,3 ampère et dont les lampes de puissance bifurquaient en deux classes, l'une chauffant sous 6,3 volts et des intensités plus élevées, l'autre se contentant de 0,3 ampère, mais sous des tensions plus fortes.
     La première série ( toutes les lampes chauffant sous 6,3 volts) était destinée d'abord aux autoradios qui faisaient leur apparition. Le chauffage était assuré par la batterie de la voiture. Beaucoup de voitures en ce temps-là avaient une batterie de six volts, alors que maintenant le douze volts s'est généralisé. Donc, le chauffage des lampes était très facile à assurer directement sur la batterie. Quant à la tension anodique, elle était généralement obtenue par un vibreur qui alimentait un transformateur élévateur. Et ensuite, cette tension était redressée par une valve chauffant également sous 6.3 volts. D'autres vibreurs utilisaient un double jeu de contacts qui dispensaient de la valve redresseuse.
     Les avantages du chauffage sous 6,3 volts ( réduction de la section des conducteurs de chauffage ) furent tels que cette série supplanta bientôt la série 2,5 volts ; les européens eux-mêmes abandonnèrent progressivement le 4 volts, hérité des lampes TM, pour le 6,3 volts qui se généralisa.

               Les postes "tous courants" ( AC/DC )
     La deuxième série ( toutes les lampes chauffant sous 0,3 ampère ) permettait la réalisation de postes secteur tous courants. Car il y avait encore, à cette époque, des parties de villes ou de campagne qui étaient alimentées en courant continu. Evidemment les lampes secteur ordinaires à chauffage 2.5 volts ou 4 volts et forte intensité, ne pouvaient être utilisées. Avec la série de lampes chauffées sous 0.3 Ampères, cette fois c'était l'intensité qui était imposée, donc on montait les lampes en série. Les petites lampes chauffaient sous 6.3 volts, et les lampes de plus forte puissance chauffaient cette fois, toujours avec la même intensité, mais sous une tension supérieure. Ainsi la pentode de puissance 25 L5 chauffait sous 25 volts.
     Pour fonctionner aussi bien sur courant alternatif que sur courant continu, on ajoutait une valve redresseuse mono-alternance qui chauffait également sous 25 volts , la 25Z5, et on avait ainsi un poste qui pouvait fonctionner indifféremment sous courant alternatif ou sous courant continu. C'étaient les fameux AC/DC : Alternating current / Direct current. Comme la somme des tensions filaments était toujours inférieure à 110 volts, car c'étaient des postes plutôt simples, on mettait en série avec la chaîne des filaments, une résistance qui chutait la différence de tension. Et cette résistance était généralement constituée par un fil résistant logé dans le cordon d'alimentation. Ce cordon chauffait par conséquent.
     Ces postes " tous courants " présentaient deux inconvénients. D'abord, la tension anodique était assez faible, ce qui diminuait les performances des lampes. D'autre part le circuit était relié galvaniquement au secteur, tandis qu'avec les postes alimentés par transformateur, on était isolé du secteur. Pour les " tous courants ", ou bien on reliait les points froids du circuit au châssis métallique, comme on faisait pour les postes à transformateur, mais ceci avait le très grave inconvénient de relier le châssis métallique au secteur, donc présentait des dangers d'électrocution, ou bien on isolait le circuit par rapport au châssis, et on ne réunissait les points froids au châssis que par l'intermédiaire de condensateurs. Ce qui avait l'inconvénient de rendre moins efficaces les découplages et les blindages.
     Ces postes, économiques par l'absence du transformateur d'alimentation, légers pour la même raison, eurent un certain succès. Mais personnellement, je ne construisis jamais de récepteur sur ce principe.
     Par contre, je réalisai ainsi mon hétérodyne modulée. On appelait ainsi un générateur étalonné de fréquences radioélectriques modulées par une fréquence audible. Ce qui était une forme rudimentaire des générateurs haute fréquence qu'on trouva ensuite dans tous les laboratoires. L'hétérodyne modulée était économique et, pour l'amateur, elle suffisait bien à aligner la moyenne fréquence d'un poste, à aligner également les circuits pour la commande unique. C'était un appareil absolument indispensable.
     La mienne était logée dans une boite à biscuits demi-tine. Beaucoup de mes circuits électroniques furent d'ailleurs logés dans des boites à biscuits. Elle était, bien entendu, isolée de la boîte. La résistance en série avec les filaments était, non pas un cordon chauffant, mais un enroulement de fil résistant, sur une plaque d'amiante, revêtu ensuite de ruban d'amiante, et fixé sur le coté de la boîte à biscuits. Ce petit appareil simple m'a rendu les plus grands services par la suite.

               Les heptodes, octodes etc...
     Il faut signaler également, aussi bien dans la série 2,5 volts, que dans la série 6.3 volts, l'apparition des lampes multigrilles, spécifiquement destinées aux changements de fréquence. La bigrille avait montré ses graves inconvénients, et on s'efforçait d'obtenir avec une seule lampe des performances intéressantes en convertisseuse.
     La lampe américaine qui fut longtemps utilisée était la 2A7, ou la 6A7 suivant la série. C'était une lampe à 5 grilles : la cathode, la première grille, et la deuxième grille jouant le rôle d'anode constituaient une triode que l'on faisait osciller sur la fréquence locale. Ensuite, il y avait une grille qui servait d'écran, portée à un potentiel positif, puis une grille sur laquelle on appliquait le signal incident. Une autre grille servait d'écran et enfin la plaque. La grille de signal était ainsi isolée entre deux grilles écran. Elle n'avait plus de couplage capacitif sensible avec les électrodes oscillatrices. Elle recevait un faisceau d'électrons déjà modulé par l'oscillation locale, et le modulait à son tour.
     Ce système a été perfectionné par les européens qui, de cette heptode ont fait une octode, en rajoutant une grille supplémentaire entre la deuxième grille écran et la plaque, de manière à donner à la partie modulatrice une caractéristique de pentode.
     L'inconvénient de cette disposition est que la grille de signal qui agissait sur une cathode virtuelle, avait moins de pente que la première grille, proche de la cathode réelle. C'est pourquoi on a changé quelque peu tout cela, mais nettement plus tard. En outre, ces lampes multigrilles avaient l'inconvénient d'avoir un bruit de partition important, et d'être plus bruyantes que la conversion à l'aide de triodes par exemple, ou même à l'aide d'une triode oscillatrice et d'une pentode convertisseuse

               Expérience sur un magnétron.
     Avant de parler un peu de mes réalisations personnelles dans le domaine de la T.S.F., au cours de ces années de laboratoire, je peux mentionner une expérience qui n'a eu lieu qu'une seule journée. Mais je la mentionne parce que j'en reparlerai incidemment plus tard.
     Mon ex-condisciple de l'institut de chimie, Jacques Bergier, devenu plus tard dans la Résistance le colonel Bergier (voir son livre Agents secrets contre armes secrètes ), m'avait mis en relation, bien qu'il ne fut pas passionné d'électronique à l'époque, avec un jeune homme étudiant, dont j'ai oublié le nom . Il se trouvait que ce garçon avait à sa disposition un magnétron. Il ne s'agissait pas des magnétrons tels qu'ils furent utilisés plus tard dans les radars, ou tels qu'ils actionnent actuellement nos fours à micro-ondes, mais d'une toute première forme de magnétron, c'est-à-dire une ampoule cylindrique en verre contenant un filament axial, servant de cathode et deux électrodes semi-cylindriques. Autant qu'il m'en souvienne, il fallait plonger ce magnétron dans un champ magnétique axial, fourni par une bobine entourant l'ampoule, dans laquelle on faisait passer un courant continu réglable. Puis, les deux anodes étaient réunies aux deux extrémités d'un circuit accordé, dont la bobine possédait une prise médiane qu'on reliait à une tension positive plus ou moins grande par rapport au filament faisant cathode, qui était chauffé de son côté bien entendu.
     Bergier, sachant que j'étais très intéressé par tout ce qui était radiofréquence, m'avait mis en contact avec cet étudiant. Un après-midi, je ne me rappelle plus où d'ailleurs, ce n'était pas chez moi, et je ne pense pas non plus que c'était chez Bergier, nous avons fait osciller ce magnétron. Je serais bien incapable de donner maintenant des détails sur cette intéressante manipulation.

               Réalisations personnelles.
     Pour en venir à mes réalisations personnelles dans le domaine de la T.S.F. pendant ces années, je dois dire que mon nouveau statut de jeune marié n'était pas très compatible, ni avec des constructions très élaborées, ni avec des écoutes prolongées, sur les ondes courtes par exemple.
     Alors, je commençai par fabriquer un poste pour notre ménage. Ce poste était très simple. Il devait comporter deux lampes, une détectrice à réaction et une basse fréquence triode à forte pente, dont je ne me rappelle plus le numéro. C'étaient des lampes européennes. Cette lampe finale présentait une particularité bizarre. Le verre de son ampoule était étoilé, fêlé, comme si il avait reçu un choc. Ce qui normalement aurait dû entraîner la perte du vide immédiatement. Mais non, la lampe fonctionnait, le getter n'était pas altéré, et le vide persistait à être bon malgré l'étoile sur le verre de l'ampoule. Par précaution, j'avais mis une goutte de vernis à la gomme laque sur la fêlure, mais c'était une précaution bien dérisoire, si la fêlure avait voulu réellement se manifester.
     Ce poste était logé dans une petite ébénisterie avec un panneau avant métallique ; un panneau supérieur qui se soulevait permettait d'accéder à l'intérieur. L'alimentation n'était pas incorporée parce que je l'avais réalisée à partir d'éléments bricolés assez encombrants. Elle occupait le bas d'un petit meuble haut sur lequel était posé le poste lui-même. Au dessus, trônait le haut-parleur électrodynamique, donné par l'ami R.P. quelques années auparavant , ce haut-parleur à excitation 6 volts, que j'avais simplement muni d'un petit baffle. L'ensemble marchait bien pour ce qu'on lui demandait. Mais les réglages de la détectrice à réaction étaient un peu délicats.

     Vers la même époque, nous nous intéressâmes un peu à la musique classique. J'avais toujours mon tourne-disque à remontage manuel, et le pick-up Brunet qui avait pris la relève du pick-up que j'avais bricolé il y a fort longtemps. A mes disques de tango et de fox-trot que j'avais acquis anciennement, j'ajoutai quelques disques de musique classique. En particulier un disque de Georges Thill, grande voix de l'époque, et un autre qui était une suite orchestrale sur Peer Gynt de Grieg. Bien entendu, ces disques, comme les plus anciens, étaient des 78 tours, lus par des aiguilles d'acier que l'on devait changer après chaque face.
     Pour les écouter dans les meilleures conditions, j'avais fait aussi un amplificateur spécial, dont la lampe finale était une de ces fameuses lampes à chauffage 0.6 volts, rebutées par le cinéma parlant, que Luc m'avait données. L'ensemble se terminait par le lourd haut-parleur de l'ami R.P. et l'audition nous semblait très bonne ; la Hi-Fi ne nous avait pas encore rendus exigeants.

                    Un poste "moderne".
     En 1935, je construisis un poste " moderne " pour remplacer le poste à deux lampes mentionné plus haut . Il était construit autour d'un bloc Gamma qui comprenait tous les bobinages d'accord et d'oscillation, ainsi que les condensateurs Padding et Trimmer pour une moyenne fréquence de 125 kilohertz. Naturellement, il nécessitait un double circuit accordé à l'entrée pour rejeter les fréquences images, la moyenne fréquence étant relativement basse. Je ne me rappelle plus si ces deux circuits accordés étaient ceux d'un présélecteur ou s'ils étaient séparés par un étage haute fréquence. Les lampes étaient des lampes américaines de la série 2.5 volts.
     La détection de la moyenne fréquence avait une particularité. Ce qui m'amène à une parenthèse ( il y en a souvent dans ces souvenirs ) concernant la détection de la modulation d'amplitude.

               Note sur la détection de la modulation d'amplitude.
     Le courant alternatif induit par l'onde incidente ( ou celui à moyenne fréquence après conversion ) ayant par nature une valeur moyenne nulle à tout instant, quelle que soit son amplitude, il faut, pour récupérer l'information véhiculée par la variation de cette amplitude, faire apparaître une "valeur moyenne instantanée" dont la grandeur reflète l'amplitude du signal.
     Pour cela, il faut faire appel à un dispositif non linéaire, avantageant une des alternances au détriment de l'autre. Ce fut, par exemple, le contact métal-cristal du détecteur à Galène ; puis, quand les lampes apparurent, on eut le choix, car tout coude de la caractéristique plaque engendrait une détection ; on peut dire sans exagérer que toute amplification s'accompagne d'une certaine détection. Ainsi fut imaginée la " détection plaque ", obtenue en polarisant la lampe à la naissance du courant plaque ; mais, comme aucun coude de caractéristique n'est très abrupt, cette détection n'atteignait une certaine efficacité que sur des signaux de grande amplitude.
     Dès les débuts de l'usage des lampes, on s'aperçut qu'on obtenait une détection beaucoup plus efficace en insérant dans la grille le "condensateur shunté" qu'ont connu tous les anciens de la TSF et en retournant le circuit grille à l'extrémité positive du filament. Cette "détection grille" fut-elle imaginée rationnellement par les théoriciens des lampes ou découverte empiriquement ? Je n'en sais rien ; pendant longtemps le fonctionnement intime de la détection grille est resté assez obscur pour la plupart des amateurs.
     En réalité, elle exploitait le redressement du signal radio-fréquence par la diode formée par la grille et le filament ( ou, plus tard, la cathode ). Ce redressement chargeait le condensateur de grille selon l'amplitude du signal et la résistance assurait l'écoulement de ces charges, permettant au potentiel moyen de la grille de suivre la modulation du signal. Mais la grille conservait son action sur le courant plaque et celui-ci reproduisait, amplifiée, l'enveloppe basse fréquence du signal. Notons que la HF s'y trouvait aussi, ce qui permettait la célèbre " détectrice à réaction ", qui rendit tellement de services pendant bien des années.
     Le dimensionnement des éléments ( condensateur et résistance ) était le fruit d'un compromis. Il fallait que la résistance soit grande devant la résistance de la diode grille-filament dans le sens passant pour que le redressement du signal incident développe une composante BF importante ; il fallait aussi que le condensateur soit assez grand pour présenter une faible impédance à la fréquence du signal incident. Mais la constante de temps, produit de ces deux grandeurs, limitait la fréquence de l'enveloppe BF que l'on pouvait ainsi récupérer. Avec les valeurs utilisées dans les débuts, de l'ordre de 100pf ( on disait 0,1 millième de microfarad ) et 2 mégohms, on avait déjà une atténuation de 3 dB un peu avant un kilohertz. Mais on ne s'en souciait guère, tellement contents d'entendre quelque chose !
     Lorsqu'on commença à se soucier de la qualité de la reproduction, on imagina des remèdes. Le plus simple fut la détection dite " de puissance " qui consista à diminuer la résistance de grille, que l'on ramena vers 100 kilo-ohms ; c'était rendu possible par la plus grande conductance du système grille-cathode des lampes à chauffage indirect ; en outre, la détection se faisait sur des signaux déjà fortement amplifiés.
     Une autre méthode, applicable seulement dans le cas des changeurs de fréquence, fut de remplacer le condensateur par un ensemble self et capacité en série accordé sur la moyenne fréquence, ce qui permettait d'obtenir une faible impédance à cette fréquence avec une capacité assez faible pour présenter un impédance très élevée aux fréquences BF. Cette astucieuse " détection Colebrook " fut néanmoins très peu employée, car la self devant accorder la faible capacité, était d'une réalisation fort délicate.
     L'arrivée sur le marché de lampes plus complexes, et notamment des "double diode-triode" ou "double diode-pentode" détrôna la détection grille au profit de la détection diode, c'est à dire que l'on sépara les deux fonctions (redressement et amplification) jusque là assurées par la grille de la détectrice. L'avantage essentiel fut que l'on put effectuer le redressement à un niveau assez élevé pour assurer une linéarité suffisante sans pour autant surcharger l'amplification BF qui lui faisait suite ; un potentiomètre que l'on appelait " volume control " permettait de doser la fraction de la tension détectée que l'on appliquait à l'entrée de l'amplificateur BF.
     Un autre avantage fut de pouvoir réaliser facilement une Commande Automatique de Gain (CAG en français et ACG : Automatic Gain Control en Anglo-saxon, appelée aussi, surtout au début, Anti-fading ). La cathode commune aux diodes et à l'amplificatrice ( triode ou pentode ) étant à un potentiel voisin de celui de la masse, le redressement d'un signal par les diodes engendrait naturellement un potentiel négatif qu'il suffisait d'utiliser, avec les découplages convenables, pour polariser les grilles des lampes " à pente variable " qui précédaient la détection.
     Généralement, les doubles diodes étaient utilisées en détection mono-alternance : une des diodes, attaquée par le secondaire du dernier transformateur moyenne fréquence, engendrait la composante basse fréquence amplifiée ensuite, et l'autre diode, attaquée par une capacité à partir du primaire de ce transformateur, était pré-polarisée. Elle servait uniquement pour le CAG, et permettait de ne déclencher le CAG que lorsque le signal avait une amplitude suffisante. On appelait cette disposition " CAG différé ", ce qui implique une idée de retard dans le temps. On aurait dû l'appeler plutôt " CAG décalé ".
     Le condensateur shunté n'avait pas disparu ; il s'était simplement déplacé et se trouvait alors dans le retour du secondaire du dernier transformateur moyenne fréquence. Les mêmes considérations que pour la détection grille régissaient son dimensionnement ; les mêmes remèdes que pour la détection grille étaient parfois conseillés.
     Pour ma part, j'avais adopté une disposition que je considérais comme bien meilleure. J'avais pu trouver un transformateur moyenne fréquence avec un secondaire à prise médiane, permettant d'attaquer la double diode en symétrique. Ainsi, le signal à moyenne fréquence s'annulait dans le circuit de détection, et une toute petite capacité suffisait à éliminer les harmoniques pairs, qui seuls étaient présents. Une détection spéciale assurait la commande automatique de gain.
     Refermons la parenthèse et revenons au poste " moderne ".

                    Un poste "moderne" ( suite ).
     Il était muni d'un condensateur trois cages, et il fallut se colleter avec la commande unique. Mais le travail était beaucoup mâché par la présence du bloc Gamma, qui avait été étudié auparavant en laboratoire et comprenait les bobinages et les capacités à utiliser pour réaliser la commande unique sur toutes les gammes couvertes, qui étaient la gamme grandes ondes, la gamme ondes moyennes et deux ou trois gammes d'ondes courtes. Inutile de dire que pour les gammes d'ondes courtes, où l'accord était réalisé par le même condensateur que pour les ondes longues ou moyennes, la réception était quelque peu difficile. C'était plutôt un gadget commercial que quelque chose de réellement utilisable.
     Ce poste était monté, cette fois, dans une ébénisterie moderne de l'époque 1935, c'est-à-dire un beau coffret en noyer, avec la place pour le cadran octogonal conseillé pour aller avec le bloc Gamma, le condensateur trois cages sur un châssis métallique, etc. Et le cadran était éclairé par les lampes cadran comme c'était la mode en ce temps-là.
     Il y avait quand même une petite particularité : j'avais mis dans cette ébénisterie un plancher intermédiaire, à la bonne hauteur, pour pouvoir y loger mon fameux haut-parleur électrodynamique, qui était beaucoup trop lourd pour qu'on puisse espérer le fixer par quatre boulons sur la face avant. Il aurait tout arraché, et il fallait un plancher pour le supporter. Ce haut-parleur était actionné, suivant l'humeur du moment, soit par une pentode finale 47, soit par une triode finale 45.

               Un transceiver 60 MHz.
     Pendant que j'étais au laboratoire de M. Audubert, j'ai lu un article de L'Antenne qui décrivait un appareil combiné, émetteur-récepteur, fonctionnant sur cinq mètres de longueur d'ondes, c'est à dire, sur soixante mégahertz. C'étaient des ondes plus courtes que celles qu'on appelait couramment les ondes courtes allant jusqu'à une quinzaine de mètres. C'est à cette occasion que j'ai fais connaissance avec le mot transceiver, c'est-à-dire la réunion dans un seul ensemble, et avec le plus possible de parties communes, d'un émetteur et d'un récepteur, les deux ne fonctionnant pas en même temps bien entendu, mais alternativement.
     Je me rappelle que dans ce petit transceiver la même lampe servait d'oscillatrice à l'émission et de détectrice en super-réaction à la réception. La même pentode de puissance basse fréquence servait en modulation plaque de l'oscillatrice en émission, et d'amplificatrice finale en réception
.      Cet appareil a fonctionné mais n'a jamais été utilisé sur le terrain pour la raison très simple qu'il n'y avait pas d'autre exemplaire que celui-ci. Donc je n'ai jamais pu savoir si réellement il portait à plus de quelques mètres. J'ai testé l'émission avec des fils de Lecher, et pour tester la réception, j'avais fait un oscillateur Mesny dont je détectais l'émission. Mais le transceiver n'a jamais été utilisé et a été démonté par la suite pour récupérer le matériel.

     Voilà à peu près tout ce que j'avais à dire sur mes activités dans le domaine de la T.S.F. au cours de mes années de laboratoire, qui vont d'ailleurs prendre fin. Il est temps d'aborder la vie professionnelle.

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