Ceux qui ont
lu le début de mes souvenirs se rappellent peut-être
ma fascination par les machines à vapeut des grands manèges
et plus tard par celles entraînant les dynamos du sanatorium
d'Angicourt.
Cette fascination ne m'a pas vraiment quitté
; la machine à vapeur classique est en effet un des rares
engins où l'on puisse suivre des yeux " ce qui se
passe ".
Nous avions en projet avec mon gendre une machine
à vapeur à balancier, mais les circonstances ont
retardé sa réalisation.
Au cours de l'été 2002, je décidai
de construire un appareil à marche suffisamment lente pour
pouvoir être suivie des yeux.
Il était hors de question que ce soit
une machine à vapeur, n'ayant ni l'outillage ni les compétences
pour réaliser des pièces mécaniques bien
ajustées.
Les actions électromagnétiques
ne demandent pas un ajustage précis et sont davatage dans
mon domaine de compétence.
Ce serait donc une machine mue par des actions
électromagnétiques.
Mais ce n'était
pas une rotation continue seule que je souhaitais obtenir, c'était
un dispositif où l'on voie bouger diverses pièces,
comme dans la machine à vapeur ( désir enfantin,
voire puéril, j'en conviens ). Je me tournai donc vers
un moteur électrique à balancier.
De telles machines, inspirées par les
machines à vapeur de ce type, ont existé au milieu
du 19ème siècle, mais n'ont connu aucun développement
industriel, en raison du prix trop élevé de l'électricité
fournie par les piles ; en outre leur rendement était très
mauvais.
Elles restèrent donc dans les cabinets
de physique.
Le moteur du Bazar de l'Électricité
Toutefois
le passé, même périmé, garde un certain
charme, voire un charme certain.
Peu avant la "guerre de 40", il y
avait, dans la vitrine du "Bazar de l'Electricité",
boulevard Henri IV à Paris, un moteur électrique
à balancier en fonctionnement.
Une petite plaque portait cette inscription
: " Ce moteur tourne depuis 1880".
Je ne garantis pas l'exactitude de la date,
ne l'ayant pas notée à l'époque, mais c'était
de cet ordre.
Ce moteur était très bien construit
: axes en acier poli, coussinets en bronze, balancier et bielles
en laiton etc... Cette construction soignée explique sa
longévité, due aussi au fait qu'il tournait lentement
; les mécanismes à marche lente s'usent peu, car
la pellicule d'huile indispensable entre toutes les surfaces métalliques
frottantes a le temps de se reconstituer en permanence.
Bien que ne tournant pas plus vite, ma mchine,
du fait des matériaux employés, n'aurait aucune
chance de tourner pendant 50 ans !
Le moteur
en question était mû par quatre électro-aimants
à noyau plongeur. Les bobines étaient fixées
sur le socle et les noyaux plongeurs étaient reliés
deux par deux à chacune des extrémités du
balancier par de petites bielles leur permettant un coulissement
vertical.
Les noyaux étaient certainement en fer
doux, car à l'époque on ne disposait pas de matériaux
capables de faire des barreaux aimantés courts conservant
longtemps leur aimantation.
L'électro-aimant à noyau plongeur
"aspire" le noyau de fer doux, tout comme l'électro-aimant
type attire son armature, quel que soit le sens du courant qui
l'alimente. Le déplacement se fait de façon que
la réluctance du circuit magnétique diminue, en
sorte que le flux magnétique dans ce circuit soit maximal.
Le fer doux s'aimante toujours dans le sens convenable. La seule
action possible est une attraction.
Ce n'est pas un obstacle à la réalisation
d'un moteur : des attractions alternées aux deux extrémités
du balancier font osciller celui-ci, mouvement qu'un système
bielle-manivelle transforme en rotation continue. Un autre système
bielle-manivelle (ou sa variante à excentrique) actionne
un contacteur dirigeant le courant vers l'une ou l'autre des paires
de bobines. Le passage par la rotation assure facilement le déphasage
nécessaire entre le mouvement du balancier et la commande
du contacteur, nominalement un quart de tour (90° ou pi/2).
Le signe de ce déphasage détermine le sens de rotation
du moteur.
Remarquons que dans ce cas, inverser le sens
du courant ne change pas le sens de rotation du moteur ; il peut
même être alimenté en courant alternatif, au
prix de vibrations parfois gênantes et d'échauffement
des noyaux par courants de Foucault.
Pour inverser le sens de rotation, il suffit
de permuter les sorties du contacteur.
Conception de la machine
Plutôt
que d'attirer du fer doux, il me parut plus intéressant
d'utiliser les actions réciproques des courants sur les
aimants. On pourrait obtenir ainsi des actions dans les deux sens,
donnant l'équivalent d'un cylindre à double effet
dans une machine à vapeur.
Cette option fut confortée par le fait
que je disposais de deux aimants parallélépipédiques
au Cobalt ( à l'époque, on n'en était pas
au Samarium ) dont j'avais acheté quelques exemplaires
vers les années 60 dans une maison spécialisée
de Paris.
Des tiges de fer à béton formèrent
des pièces polaires convenables.
Pour les bobines devant interagir avec ces aimants, je choisis de petites carcasses de plastique ayant porté jadis du fil à wrapper. Le diamètre interne de ces bobines était beaucoup plus grand que le diamètre des pièces polaires ; cela conduirait à un mauvais rendement, mais cela faciliterait la construction.
En effet,
je ne comptais pas utiliser de bielles articulées pour
relier au balancier les parties motrices ; cela exigerait un guidage
par coulissement, d'où des frottements importants.
Donc le guidage devrait être assuré
par le balancier lui-même.
Mais que devrait
guider le balancier ? Les aimants ou les bobines ? Ce pouvait
être aussi bien l'un que l'autre.
Laisser les bobines fixes avait l'avantage de
ne pas avoir à amener de courant sur des parties mobiles
; d'un autre côté, les aimants et leurs pièces
polaires sont plus lourds que les bobines. J'ai choisi, tout à
fait arbitrairement, la solution "bobines mobiles".
On pouvait
fixer les bobines aux extrémités du balancier, mais
dans ce cas elles s'inclineraient au cours du mouvement. Une solution
eut été de cintrer convenablement les pièces
polaires ; mais je n'étais pas capable de cintrer harmonieusement
du fer à béton.
Les bobines devraient donc se déplacer
en conservant leur axe parallèle à la verticale.
Ce que l'on peut obtenir en remplaçant
le balancier unique par un système de deux balanciers superposés
reliés par des biellettes formant un parallèlogramme
déformable,
les bobines étant solidaires des biellettes.
Il y a, bien sûr, un léger déplacement
des axes, facilement calculable, que le grand jeu prévu
dans notre cas entre pièces polaires et bobines permet
de négliger.
Pour que les bobines puissent descendre jusqu'à
ras des aimants plusieurs solutions étaient envisageables,
que je ne détaillerai pas. J'ai choisi de dédoubler
chacun des balanciers et de loger les paires de bobines entre
les biellettes.
La forme retenue comporte donc un balancier
quadruple et quatre bielettes, ce qui fait 12 articulations rien
que pour l'ensemble balancier-bobines ! mais les frottements de
pivotement sont faibles à côté de ceux de
coulissement.
Remarquons qu'en toute rigueur, utilisant des actions aimants-courants engendrant des forces dans les deux sens, il ne m'était pas nécessaire d'employer deux paires de bobines ; une seule bobine pouvait même suffire. Mais j'ai pensé qu'une machine symétrique était plus esthétique.
Un autre sujet
de cogitation était l'emplacement du volant.
Dans la plupart des machines à balancier,
une bielle verticale (en moyenne) relie le balancier à
la manivelle, ce qui impose une position basse à l'arbre
rotatif et donc à l'indispensable volant.
Comme comme je voulais que ma machine soit entièrement au-dessus de son plan de base, je munis le balancer inférieur d'un bras "vertical" actionnant une bielle "horizontale", ce qui me permit de placer l'arbre rotatif à la hauteur souhaitée. Les photographies montrent clairement cette disposition.
Une caution littéraire.
J'étais en pleine période de réflexion sur la structure générale de ma future machine lorsque dans un roman policier je trouvai le passage suivant :
Construire, mécaniser linutile. Je voulais faire un monument à la gloire de la mécanique! Et pour célébrer la beauté de la mécanique, je voulais que la machine ne serve à rien, son seul intérêt étant de marcher, de fonctionner, et quon puisse dire en la contemplant: Ça marche! .
Gloire au fonctionnement, et gloire au dérisoire et à linutile!
Gloire au levier qui pousse, à la roue qui tourne, au piston qui pistonne, au rouleau qui roule!
Et
pourquoi faire? Pour pousser, pour tourner, pour pistonner, pour
rouler!
--
Fred Vargas Un peu plus loin sur la droite
C'était exactement le but que je métais fixé !
L'inverseur et sa commande
J'ai préféré un inverseur à contacts glissants rectilignes, le plus dans l'esprit de la machine.
Comme le tiroir de la machine à vapeur, cet inverseur doit être commandé en quadrature avec le balancier. La solution classique est l'emploi d'une excentrique convenablement calée.
La dispositon en hauteur de l'arbe rotatif permet une simplification.
La bielle motrice
étant horizontale en moyenne, une bielle "verticale"
sur le même maneton de la manivelle procure le mouvement
en quadrature désiré.
Comme je voulais installer horizontalement l'inverseur,
il fallut ajouter un renvoi d'angle qui permet de modifier la
direction du mouvement et son amplitude mais conserve la phase.
Cela augmente d'ailleurs le nombre de pièces en mouvement
et enrichit le spectacle !
Matériaux. Détails de construction.
Mécanique
Le bâti
et les parties fixes, mais aussi les balanciers sont faits en
bois, matériau que l'on peut se procurer facilement et
travailler aisément.
Les arbres principaux des balanciers et celui
de sortie sont des pièces Meccano, pivotant tous au début
dans de simples trous de plaquettes Meccano. Par la suite, pour
réduire le bruit dû au jeu très important
inhérent à ce type de paliers , larbre
de sortie tourna dans des paliers un peu plus soignés.
Les arbres des extrémités des
balanciers sont des tiges filetées de 3 mm pivotant dans
de petits tubes de laiton.
Les bielles sont des tiges filetées de
2 mm, chemisées dun mince tube de laiton, pour la
rigidité et lesthétique ; elles se terminent
par de petites rotules utilisées en modélisme avion.
Le renvoi dangle est à base de
pièces Meccano.
Le guidage du chariot de linverseur est
assuré par un petit tube de laiton coulissant sur un tronçon
daiguille à tricoter en acier ; les contacts glissant
ont été prélevés sur un vieux contacteur
rotatif ; ils frottent sur une plaquette de bakélite cuivrée
convenablement gravée.
De par notre disposition, le volant peut être
de grand diamètre ; il n'a pas besoin d'un matériau
dense. Il est constitué des quelques uns de ces disques
de carton doré que les pâtissiers mettent sous leurs
gâteaux. Il porte des ailettes dont nous parlerons dans
la partie "Fonctionnement".
Magnétisme et Electricité
Nous avons
parlé plus haut des aimants et de leurs pièces polaires.
Les dimensions des bobines sont les suivantes
:
diamètre
extérieur : 39 mm
diamètre
intérieur : 24 mm
hauteur
: 20 mm
Les bobines ont été remplies complètement
avec du fil de cuivre émaillé de diamètre
0,7 mm. Je n'ai pas compté le nombre de spires.
Les quatre bobines sont connectées en
série, dans les sens convenables bien sûr. La résistance
totale est d'environ huit ohms.
Un rhéostat en série avec lensemble permet de réduire lintensité du courant et donc la vitesse de la machine ; sa résistance maximale est d'environ 5 ohms. Un inverseur à couteaux, survivant de la TSF des années 1925, permet dinverser le sens du courant et donc celui de rotation de la machine sans avoir à débrancher et rebrancher la source.
Enfin, seuls composants nexistant pas au 19ème siècle, deux diodes électroluminescentes, une rouge et une verte, sont connectées tête-bèche, avec les résistances dusage, aux bornes du groupe des bobines et sallument donc en alternance quand la machine fonctionne.
Fonctionnement
La machine demande une alimentation en courant continu ; elle tourne à partir de 8 volts, mais il vaut mieux disposer de 12 volts. On pourrait,bien sûr, employer des piles, mais ce serait très onéreux. Une batterie d'accumulateurs de voiture ( 12 V ) est idéale.
Avec cette source, la machine tourne à 50 à 80 tours/minute, selon le réglage du rhéostat. La vitesse est très stable.
Cette stabilité est obtenue grâce aux ailettes dont nous avons équipé le volant. A l'origine, celui-ci n'en portait pas, et il était difficile d'obtenir une vitesse stable assez lente pour que l'on puisse suivre les mouvements de diverses pièces.
Cela tenait à ce que la charge mécanique consistait presque exclusivement en frottements solides, qui diminuent lorsque la vitesse augmente. En leur adjoignant les frottements fluides des ailettes dans l'air, qui sont proportionnels au carré de la vitesse, la régulation de celle-ci devint beaucoup plus facile.