Après linterruption due au poids informatique très lourd des deux tableaux, reprenons notre promenade dans la Radioactivité et la structure de la matière.
Protons et Neutrons
Une difficulté importante apparaît bientôt. Si lon admet que latome le plus léger, donc le plus simple, celui de lHydrogène, est formé dun seul électron gravitant autour dune particule que lon appela proton, de charge électrique positive unitaire et de masse environ 1800 fois celle de lélectron, et si lon admet que les charges électriques des autres noyaux sont dues également à des protons, pourquoi les masses atomiques relatives à celle de lHydrogène ne sont-elles pas simplement la suite des nombres entiers ? Or lélément numéro 2 (2 électrons, lHélium) a une masse atomique denviron 4 et non 2, lélément numéro 3 (3 électrons, le Lithium) a une masse atomique denviron 7 et non 3, lélément numéro 4 (4 électrons, le Béryllium) a une masse atomique denviron 9 et non 4, et ainsi de suite, le rapport masse / numéro ayant dailleurs tendance à augmenter en même temps que le numéro. Lidée simposa donc de la présence dans le noyau de particules non chargées. Mais il fallut attendre 1932 pour que Chadwick mette en évidence cette particule neutre, quon baptisa neutron, dotée de la même masse que le proton.
Ces deux constituants des noyaux sont regroupés sous le terme de nucléons.
Du coup sexpliquaient à la fois les masses des éléments et aussi le fait que ces masses ne soient généralement pas dans un rapport entier exact.
Isotopes
En effet, ce qui caractérise au point de vue chimique un élément, cest son cortège électronique et donc le nombre de protons du noyau, mais des noyaux différant seulement par le nombre de neutrons correspondront au même élément, tout en lui conférant des masses atomiques différentes. Ces corps, indiscernables chimiquement, occuperont la même place dans le tableau de Mendéléiev : cest ce que signifie le mot isotopes qui fut créé pour les désigner, bien avant dailleurs que la découverte du neutron nen explique la nature. Les chimistes avaient en effet remarqué certaines inversions dans la classification des éléments ; par exemple le Tellure (p.a. 127,6) devait se placer logiquement, pour respecter les familles, avant lIode (p.a. 126,9). Rutherford, notamment, avait travaillé sur ce sujet, qui ne fut éclairci que par lhypothèse et la découverte du neutron.
Si les masses atomiques des divers éléments ne sont pas des multiples entiers de celle de lHydrogène, cest que les éléments que nous connaissons matériellement sont des mélanges dun plus ou moins grand nombre disotopes, à commencer par lHydrogène lui-même, qui contient 0,015 % de son isotope 2,, cest à dire dont le noyau est formé dun proton et dun neutron. Exceptionnellement, on a donné un nom particulier à cet isotope, qui est stable : le Deutérium, bien que ce ne soit pas un élément. Ce que nous connaissons sous le nom deau est donc un mélange doxyde dHydrogène(1) et doxyde dHydrogène(2). Cet oxyde de deutérium est leau lourde, qui fut loccasion dune bataille en raison de son importance dans les recherches sur la fission nucléaire. LHydrogène a même un isotope 3 ( un proton et deux neutrons ), le Tritium, qui est radioactif ( période 12,3 ans ), utilisé pour les montres et réveils lumineux.
Cas unique dans les isotopes, ceux de lHydrogène sont assez facilement séparables, car leurs masses sont dans un rapport 2 ou 3 ; même une fois combiné à lOxygène, le rapport des masses moléculaires des deux " eaux " (18 / 20) est suffisamment différent de 1 pour que la séparation soit relativement facile.
Cest évidemment beaucoup plus difficile de séparer, dans lUranium " ordinaire ", lUranium 235, fissile (0,72 %) de lUranium 238, non fissile (99,27 %).
Cest pourquoi lon se contente denrichir lUranium en isotope 235, pour utilisation dans les centrales nucléaires, par des techniques haute ment sophistiquées (diffusion gazeuse, ultracentrifugation).
Le nombre disotopes est très variable selon les éléments ; ainsi lIode na quun seul isotope stable : lIode 127. Ses 14 autres isotopes sont instables, donc radioactifs, notamment lIode 131, redouté en cas de catastrophe nucléaire.
Le Tellure a 6 isotopes stables, les 3 plus abondants étant les 126, 128 et 130, ce qui explique que, malgré son numéro atomique (nombre de protons), inférieur (52), il soit plus " lourd" que lIode (53).
Donnons encore un exemple : le Plomb " ordinaire ", de masse atomique 207,2, est un mélange de 4 isotopes stables de masses atomiques 204, 206, 207 et 208
Mécanismes de la radioactivité
On constata très vite que la radioactivité dun élément ne dépendait absolument pas de son état chimique, quil soit libre ou combiné et quelle que soit la combinaison. Seule importait la masse délément.
Ce qui conduisit à penser que la radioactivité était une propriété du noyau. Certains noyaux sont instables et se transforment spontanément, de manière aléatoire, avec une probabilité définie par leur période ou demi-vie, en un autre noyau, qui peut être stable ou se désintégrer à son tour et ainsi de suite.
Les deux principaux mécanismes sont la radioactivité alpha et la radioactivité béta moins.
Radioactivité Alpha
Un noyau qui se trouve trop lourd sallège le plus souvent en émettant une particule alpha, connue depuis la découverte de la radioactivité, mais dont la nature na pu être déterminée quaprès la découverte du neutron.
.Elle se compose, en effet, de 2 protons et de 2 neutrons ; cest donc un noyau dHélium. Sa masse importante explique la faible déviation des rayons alpha par les champs électriques et magnétiques.
Un noyau subissant une désintégration alpha devient celui dun autre élément, reculant de 2 cases dans le tableau de Mendéléev et perdant 4 unités de masse atomique.
Ainsi le Polonium 210, élément 84, se transforme en Plomb 206, élément 82.
Radioactivité Bêta moins
Le mécanisme intime est plus complexe ; il aboutit à ce que, dans le noyau, un neutron se transforme en proton, avec émission dun électron rapide (rayon bêta).
Ici aussi, le noyau devient celui dun autre élément, de même masse atomique, mais avançant dune case dans le tableau de Mendéléev.
Ainsi le Potassium 40, élément 19, se transforme en Calcium 40, élément 20.
Il y a dautre types de radioactivité, moins fondamentaux ; nous en laisserons létude aux spécialistes.
Emission des rayons Gamma.
Observés dès le début, ils proviennent dune réorganisation dun noyau qui vient de subir une désintégration : le surplus dénergie est émis sous forme dun photon gamma.
Chaînes de désintégrations
Les exemples que nous venons de donner sont des cas simples : un élément instable se transforme en un élément stable.
Mais bien souvent le nouvel élément est lui-même instable et se désintègre à son tour. La chaîne de désintégrations est souvent longue avant daboutir à un élément stable. Je donnerai en exemple, sans les détailler, les deux chaînes peut-être les plus riches, celle de lUranium 238 et celle du Thorium 232.
Il ne faut pas moins de 14 désintégrations successives (8 alpha et 6 bêta moins) pour passer de lUranium 238, isotope le plus abondant parce que doté de la plus longue période (4,47 milliards dannées) au Plomb 206, stable, en passant par des isotopes instables de divers éléments, de périodes allant de 75 400 ans à 164 microsecondes.
Parmi ces étapes intermédiaires, nous retiendrons trois :
Le Radium 226, dont nous avons parlé plus haut. Il présente une radioactivité alpha ; mais ses produits de désintégration présentent des radioactivités tantôt alpha, tantôt bêta moins et nous savons que certaines désintégrations saccompagnent démission gamma. Cest pourquoi nous avons pu dire quil présentait les 3 types de radioactivité. Le radium est donc constamment engendré dans la nature à partir de lUranium 238 primordial.
Il engendre à son tour le Radon 222, le dernier et le plus lourd des gaz rares. Ce gaz radioactif se dégage des entrailles de la Terre et accompagne certaines eaux minérales. Sa période de 3,8 jours restreint beaucoup la radioactivité des eaux en bouteilles. Ses produits de désintégration sont des isotopes radioactifs du Polonium, du Plomb et du Bismuth, tous solides et pouvant donc se fixer dans les poumons.
Comme le Radon est très dense, il saccumule plutôt dans les caves. Il est naturellement très présent dans les mines dUranium.
Enfin le Polonium 210, déjà mentionné, dernière étape avant le Plomb 206, stable.
Le Thorium 232, de période 14 milliards dannées, présente une chaîne un peu moins longue : 10 désintégrations (6 alpha et 4 bêta moins) conduisent au Plomb 208, stable, en passant par des isotopes instables de divers éléments, de périodes échelonnées entre 5,7 ans et 0,3 microseconde.
On remarquera que le Plomb provenant du Thorium na pas la même masse atomique que celui provenant de lUranium. Ce sont deux isotopes stables du même élément
.
Radioactivité naturelle
Il est impossible de se soustraire à toute radioactivité, ne serait-ce que parce que notre corps contient environ 20 milligrammes de Potassium 40, ce qui fait que nous sommes le théâtre de 340 millions de désintégrations bêta moins par jour !
A quoi sajoutent les effets du Radon échappé du sol, du Carbone 14 engendré dans la haute atmosphère par action des rayons cosmiques sur les composés carbonés, fixé ensuite par les végétaux et présent dans notre alimentation, etc
Sans parler des rayons cosmiques, particules de très haute énergie venant du Cosmos. Latmosphère terrestre nous protège partiellement de leurs effets ; cette protection diminue quand on sélève (astronautes, navigants davions stratosphériques).
La radioactivité naturelle
est très utilisée pour la datation archéologique ou
géologique. En archéologie, la méthode au
Carbone 14 est très utilisée. Cet isotope est présent
à un taux constant dans le gaz carbonique de latmosphère,
et donc dans le carbone des végétaux vivants qui
sen nourrissent ; mais une fois le végétal
mort (bois, papyrus, etc
), le taux de Carbone 14 diminue
selon sa période (5730 ans). Un dosage du rapport C14 /
C12 donne lâge de léchantillon.
Radioactivité artificielle
En 1934, Irène Curie (fille de Marie et Pierre) et Frédéric Joliot, son époux, montrèrent quon pouvait créer des isotopes radioactifs qui nexistaient pas dans la nature en bombardant certains atomes par des protons, des neutrons ou des particules alpha. Les " obus " doivent être suffisamment accélérés pour pénétrer dans les noyaux et sy incorporer.
Ce fut le départ dune recherche nouvelle, à laquelle les réacteurs nucléaires, source abondante de neutrons, fournirent plus tard de grandes possibilités.
On prépare ainsi le Cobalt 60 (radiothérapie, examen des pièces métalliques), lIode 131 (usages médicaux) et tant dautres sources aux usages divers.
Le Neutrino
Dès 1930, avant même la mise en évidence du Neutron, le physicien suisse Wolfgang Pauli avait émis lhypothèse de lexistence dune particule neutre, sans masse ou dune masse très faible. Cette hypothèse était considérée par lui comme un " remède désespéré " pour sortir dune impasse : alors que la radioactivité alpha (émission de noyaux dHélium) et la radioactivité gamma (émission de photons) respectaient le principe de la conservation de lénergie, la radioactivité bêta (émission délectrons) semblait violer ce principe.
Trois ans plus tard, litalien Enrico Fermi, se basant sur lhypothèse de Pauli, donna une explication cohérente de la radioactivité bêta et baptisa " neutrino " la particule postulée par Pauli. Mais il fallut attendre 1956 pour avoir une preuve expérimentale de lexistence du neutrino !
Ce long délai tient à ce que le neutrino interagit très peu avec la matière, ce qui le rend très difficile à détecter.
Un torrent de neutrinos séchappe du Soleil (comme de toute étoile), mais ils traversent la Terre sans difficulté ; nous sommes à tout instant traversés par un grand nombre de neutrinos, sans aucune conséquence.
Cette particule a gardé encore quelques mystères, en particulier sa masse.
A-t-il une masse extrêmement faible, ou pas de masse du tout ? la question et importante : elle peut décider du sort final de lUnivers. Etant donnée la très grande abondance du neutrino, il suffirait que sa masse soit un dix-millième de celle de lélectron pour que lexpansion actuellement observée finisse par sarrêter et se transforme en une contraction, aboutissant au " Big Crunch ".
De récentes constatations faites par des Japonais conduiraient à penser que le neutrino a une masse. Mais on ne sait toujours pas la mesurer.